La modification du Code civil relative au droit des obligations est entrée en vigueur ce 1er janvier 2023. Parmi les modifications, le législateur consacre notamment la théorie de l’imprévision dans les contrats. Cela implique notamment de pouvoir renégocier un contrat dans certaines circonstances.
La nouvelle version du texte.
Le nouvel article 5.74 dispose :
« Chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.
Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies :
1° un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger ;
2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
3° ce changement n’est pas imputable au sens de l’article 5.225 au débiteur ;
4° le débiteur n’a pas assumé ce risque ; et
5° la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité.
Les parties continuent à exécuter leurs obligations pendant la durée des renégociations.
En cas de refus ou d’échec des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une ou l’autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon les modalités fixées par le juge. L’action est formée et instruite selon les formes du référé. »
Le système antérieur
Avant la modification législative, il n’était en principe pas possible de demander à renégocier son contrat pendant son exécution quand bien même des circonstances exceptionnelles survenaient. Il existe évidemment des nuances et la liberté contractuelle permettait toujours de prévoir expressément dans le contrat que celui-ci pouvait être renégocié dans des cas donnés et prévus à l’avance. Le principe était donc le maintien du contrat sauf exceptions contractuellement prévues ou jurisprudentielles.
Le nouveau système
Cette modification législative inverse en quelque sorte le principe puisque désormais, la loi prévoit expressément la possibilité de demander à renégocier son contrat. Il faut évidemment respecter les conditions qui sont expressément prévues dans la loi. Celles-ci sont cumulatives c’est à dire qu’il est nécessaire que toutes les conditions légales soient réunies pour pouvoir demander la renégociation de son contrat.
Les conditions prévues par le législateur sont assez exigeantes puisque l’exécution du contrat devra être « excessivement onéreuse » dit le texte. Cette circonstance doit être imprévisible : le risque ne devait donc pas avoir été imaginé de manière vraisemblable par les parties lors de la conclusion du contrat. Il faut en clair que la circonstance soit totalement une surprise pour les parties et que le rapport économique en soit excessivement chamboulé.
Le débiteur semble seul titulaire du droit de demander la renégociation
ll n’aura pas échappé au lecteur que la disposition commence par rappeler que chaque partie doit respecter le contrat, quand bien même le coût aurait augmenté ou la contre-valeur diminuée. C’est à dire que le texte maintient le principe selon lequel les engagements contractuels font la loi des parties et que chacun est responsable de ses engagements et des conséquences financières de ceux-ci. Pourtant, seul le débiteur est en droit de demander la renégociation. Il eut été avisé pour le législateur de conférer ce droit aux deux parties. Dans certaines hypothèses, le créancier pourrait également avoir intérêt à la renégociation, par exemple pour la durée du contrat.
Application aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2023
Cette modification législative ne s’applique qu’aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2023. Cela signifie que les contrats qui ont été négociés et finalisés avant 2023 continuent à appliquer l’ancien système. Pour les nouveaux contrats, la modification législative s’applique automatiquement.
Il est toutefois possible de prévoir expressément l’exclusion du système de renégociation dans le contrat. Il faudra évidemment le mentionner dans le contrat. Pour toute une série de contrats, comme par exemple le contrat de bail, il pourrait être judicieux pour le bailleur d’exclure l’application de ce système. C’est notamment pour cette raison que les baux du SNPC ont été mis à jour afin de prévoir une clause qui permet d’exclure l’application de ce système. Nous attirons l’attention de nos membres sur l’importance de discuter de cette clause avec leurs locataires et de mentionner clairement le choix qui est posé.
Les contrats avec tacite reconduction
La modification législative s’applique aux contrats conclus à partir du 1er janvier 2023. Les baux qui prévoient la tacite reconduction qui interviendrait après le 1er janvier 2023 restent soumis à la loi antérieure puisque le contrat a été conclu avant cette date mais reconduit, poursuivi pour une durée supérieure. Ce n’est qu’en cas de signature d’un nouveau contrat que le nouveau système s’applique.
Que faire en cas d’échec des renégociations
Si le débiteur invoque le bénéfice de la nouvelle disposition, il est possible - voire à craindre - que les parties ne parviennent pas à s’entendre. En effet, le créancier peut estimer que les conditions de la loi pour pouvoir renégocier ne sont pas remplies ou les cocontractants peuvent être en désaccord sur les nouvelles conditions du contrat. Dans cette situation, les parties doivent saisir le juge qui devra d’abord vérifier si les conditions pour renégocier sont remplies et le cas échéant pourra soit adapter le contrat soit y mettre fin. Dans le cas d’un contrat de bail, c’est le Juge de paix du lieu de la location qui est compétent pour connaître du litige.
Conclusion
Le législateur a inséré cette modification législative qui ouvre la porte à renégocier les contrats en cas de bouleversement économique inattendu dans le rapport contractuel. Les parties peuvent librement convenir d’exclure cette faculté. Dans un certain nombre de cas, y renoncer pourrait être prudent à tout le moins jusqu’à ce que les juridictions de fonds balisent plus concrètement à l fois les conditions pour demander la renégociation et l’adaptation du contrat en cas de litige. En définitive, si c’est un juge qui décide des conditions dans lesquelles les parties vont devoir poursuivre l’exécution du contrat, n’y a-t-il pas un risque accru de litige pour des personnes qui n’auraient peut-être pas marqué leur accord à ces conditions ? Le résultat judiciaire sera probablement de mettre fin au contrat pour éviter des litiges futurs, ce qui ne sera peut-être finalement pas de l’intérêt des parties.