L’article 3.81 du Droit des Biens est un article clé qui vise les portefeuilles de tous les copropriétaires.
« Les charges inhérentes à cette Copropriété, notamment les frais d’entretien, de réparation et de réfection, sont réparties en fonction de la valeur respective de chaque bien privatif, sauf si les parties décident de les répartir en proportion de l’utilité de ces accessoires pour chaque bien privatif. Les parties peuvent également combiner à leur gré les critères de valeur et d’utilité ».
Quand bien même il existe une possibilité de répartir ces charges sur base d’autres critères que celui de la valeur respective de chaque bien privatif, nous examinerons exclusivement la question des charges fixées « en fonction de la valeur respective de chaque bien privatif ».
Mais inutile de préciser que la « valeur » est un concept difficile à apprécier et que trois experts immobiliers différents pourraient, chacun, l’évaluer distinctement.
Comme le précise justement certains auteurs (Eric RIQUIER, La Copropriété, Les Droits et Devoirs du Copropriétaire, du Syndic et de la Copropriété, LARCIER, p. 40) :
« Au lendemain de l’adoption de la loi du 30 juin 1994, il était encore courant de la (valeur respective) confondre avec la valeur vénale des lots.
Elle doit aujourd’hui s’entendre comme l’expression de la quote-part d’un lot par rapport (c’est nous qui soulignons) aux autres lots.
Il serait donc en vérité plus judicieux de parler de valeur proportionnelle, ou de valeur relative, celle-ci étant, en tout état de cause, sans rapport avec la valeur vénale.
La valeur d’un lot est l’expression de sa valeur relative par rapport à la valeur des autres lots ».
Et c’est bien là que naît la difficulté puisque c’est une valeur relative.
Certains copropriétaires poseront dès lors la question suivante :
« Mon voisin paie moins de charges que moi parce que la valeur relative de son lot a été appréciée de manière moindre, alors que son bien a des caractéristiques très proches des miennes, voire même a des avantages dont je ne bénéficie pas ».
On en revient donc à examiner comment cette « valeur relative » est fixée.
L’article 3.85 §1er reprend en son paragraphe 1er, alinéa 2, ce qui suit :
« L’acte de base comprend la description de l’ensemble immobilier et des parties privatives et communes, ainsi que la fixation de la quote-part des parties communes afférentes à chaque partie privative, cette quote-part étant déterminée en tenant compte de leur valeur respective fixée en fonction de la superficie nette au sol, de l’affectation et de la situation de la partie privative, sur la base d’un rapport motivé d’un notaire, d’un géomètre-expert, d’un architecte ou d’un agent immobilier .
Ce rapport est repris dans l’acte de base ».
Passons en revue les divers critères retenus.
La superficie nette du sol
Ce critère objectif peut paraître ne souffrir d’aucune discussion et pourtant…
Dans la vie d’une Copropriété, il n’est pas rare de voir des modifications de superficie.
Elles peuvent être liées par le fait qu’entre la rédaction de l’acte de base et la fin de la construction de l’immeuble, pour certaines raisons, il y eut des changements.
Ainsi, par exemple, la superficie d’un local « poubelles » considéré comme commun au départ, a pu être réduit au profit d’un emplacement de garage plus large, et ce au vu des impératifs du constructeur en cours de chantier.
On peut aussi imaginer que, sans opposition durant trente ans des autres copropriétaires ou de l’association des Copropriétaires gardienne des parties communes, un copropriétaire a occupé une partie commune et invoque alors une prescription acquisitive (encore faut-il voir si les conditions de celle-ci sont réunies).
L’affectation
Partons d’un exemple précis :
Un copropriétaire d’un penthouse dispose d’un appartement initialement composé d’un vaste living de 40m².
Après son acquisition et vu l’extension de sa famille, il effectue des travaux conséquents dans l’appartement en faisant choix de mordre ainsi sur la terrasse de son penthouse et sur une partie de la superficie de son large living après avoir obtenu les autorisations urbanistiques utiles et le feu vert de l’A.C.P.
Il modifie donc « l’affectation » de sa partie privative.
Autre exemple :
Un kinésithérapeute, propriétaire d’un appartement au 1er étage, sans opposition de l’Assemblée Générale (et sans contradiction avec le Règlement de Copropriété) « affecte » ce qui était initialement une chambre à coucher en une salle de consultation.
Il affecte aussi son corridor à une salle d’attente.
Ces affectations ainsi modifiées peuvent d’ailleurs générer des charges communes plus élevées (ascenseur plus sollicité, éclairage dans les communs restant permanent pour permettre à la patientèle d’accéder aisément à l’appartement, etc.).
La situation
Ce critère, quand bien même il peut paraître source de discussion, au moment de la rédaction du rapport pour fixer la valeur « relative », s’il est bien motivé (voir remarque infra), est moins susceptible d’être contesté.
Il est évident qu’un appartement, vue directe sur mer ou exposé plein sud, quand bien même il disposerait d’une superficie et d’une affectation identique à celui situé dans une rampe ou au nord, a une situation privilégiée.
Toutefois, certains diront que ce n’est pas cette situation privilégiée qui pourrait être prise en compte pour le calcul des quotités servant de base au montant des charges car il n’est pas démontré que, alors, cet appartement créerait des charges communes plus importantes.
Il pourrait être soutenu que cette situation affecte certes la valeur vénale mais qu’elle ne doit pas être prise en compte…
Examinons maintenant la situation d’un copropriétaire se considérant lésé par la fixation de quotités erronées, selon lui, au vu des critères ci-avant exposés.
Voyons ce qu’il en est des recours possibles.
L’article 3.92 §7 relève :
« Tout copropriétaire peut demander au Juge de rectifier : la répartition des quotes-parts dans les parties communes, si cette répartition a été calculée inexactement ou si elle est devenue inexacte par suite de modifications apportées à l’immeuble ».
Deux situations distinctes sont ainsi prévues :
Une inexactitude dans le calcul au moment de la rédaction de l’acte de base.
Une inexactitude par suite de modifications apportées à l’immeuble.
L’action judiciaire peut être introduite par citation.
Heureusement, dans ce cas, il ne convient pas d’assigner tous les autres copropriétaires (dont les quotités pourraient être modifiées par le nouveau calcul susceptible d’intervenir) mais l’Association des copropriétaires seulement.
Relevons que le débat judiciaire apparaît pouvoir être difficilement vidé sans expertise préalable ordonnée par le Tribunal.
Mais le magistrat ne va pas ordonner une telle expertise si, au moment de la demande, il n’a pas présenté suffisamment d’éléments qui justifient la mise en route de cette expertise qui peut être onéreuse.
Quelle est la position des Tribunaux par rapport aux demandes de modifications des quotités ?
Ceux-ci sont particulièrement prudents.
En effet, on touche à un acte authentique dûment transcrit (ce qui nécessite d’ailleurs une inscription marginale de la citation en justice en marge de cet acte).
De plus, il est évident que si le tribunal venait à accepter « trop facilement » une demande de modification, les actions se multiplieraient et, surtout, la foi due à un acte authentique serait trop souvent ébranlée.
Nous citerons à cet effet une doctrine autorisée après un jugement rendu par le Juge de Paix de Forest.
« …Seules des disparités avérées dans l’évaluation des différents appartements lors de la création de la Copropriété et inexpliquées logiquement, sur la base de critères objectifs, peuvent aboutir à la rectification des quotes-parts.
Pour établir que la répartition a été calculée de manière inexacte, même dans le système actuel, il faut donc démontrer que les superficies ont été mal calculées ou que l’affectation des biens n’a pas été retenue adéquatement ou encore que leur situation n’a pas été prise en considération.
En d’autres termes, il faut mettre en lumière une anomalie sérieuse (c’est nous qui soulignons) et non de simples variations à la marge » (C. MOSTIN, Notes sous J.P. FOREST, 17.11.2018, L’action en rectification de la répartition des quotes-parts dans les parties communes et en rectification du mode de réparation des charges : un long fleuve loin d’être tranquille ! J.J.P., 2018, p. 413).
Dans un litige devant la Justice de Paix de THUIN, le magistrat a fait droit à une demande d’expertise, la motivation du jugement relevant certes une possible affectation distincte mais aussi un rapport non motivé à suffisance.
Nous conclurons par deux observations.
Le rapport demandé au professionnel visé à l’article 3.85 §1er al. 2 doit être motivé et complet.Pour éviter toute source de discussion, il pourrait être bien structuré en reprenant chaque fois les trois critères fixés par le législateur et en expliquant ainsi, sur base de chaque critère, la raison de la présentation des quotités.
Si, en cours de vie de la Copropriété, une modification autre que « une variation à la marge » intervient, cette question peut être débattue en Assemblée Générale, rien n’empêchant alors que, selon les règles de majorité, il soit décidé par celle-ci une expertise amiable.
Le débat judiciaire n’interviendrait alors que si, à l’issue de cette expertise, il existe une situation de blocage.
L’intérêt d’une telle formule est de permettre que soit « déblayé » le terrain avant de saisir le Tribunal et en lui présentant alors ce qui, selon un expert choisi amiablement, constitue à tout le moins une « vraisemblance d’anomalie sérieuse ».
Comme la répartition des charges de Copropriété peut être la conséquence de la modification des quotités, il nous apparaît que cette question peut être débattue en AG.
Et il nous semble également que, pour une mesure « exploratoire » visant à être éclairé par un expert, une majorité qualifiée n’est pas requise.
Autre chose, bien naturellement, si, à l’issue de cette expertise, on en vient à mettre au vote la modification des quotités (voir article 3.88 §1er 2).