La détérioration, voire la chute d’un mur de clôture, peut avoir diverses causes. Elle peut provenir de la vétusté mais aussi de l’amoncellement de terres du fonds voisin sur ce mur.
Et il s’ensuit la question suivante : qui doit supporter le coût des réparations ?
Votre mur est privatif
Si votre mur privatif venait à être détérioré suite à la pression des terres de votre voisin, il peut être considéré qu’il y a atteinte à votre droit de propriété, le mur étant sur votre fonds.
Certes, le voisin pourrait tenter de soutenir qu’il n’est pas « le fautif » dans la mesure où ces terres n’ont pas été apportées par lui mais par le propriétaire précédent.
Il relèvera que la cession de l’immeuble à l’origine du dommage n’implique pas un transfert de l’obligation de réparer ou de compenser du propriétaire originaire au tiers acquéreur (P. LECOCQ, Manuel de Droit des Biens, T. I. ; Biens et Propriétés, LARCIER 2012, p. 67).
Il n’en reste pas moins que votre voisin a « sous sa garde » ces terres qui s’amoncèlent et qui détériorent le mur.
L’article 1384 du Code Civil, maintes fois rappelés, relève qu’on est responsable du dommage « des choses que l’on a sous sa garde ».
De plus, si est invoqué la théorie des troubles de voisinage (sans qu’il ne faille démontrer une faute ou la considérer comme présumée sur base de l’article 1384 du Code Civil), conformément à la jurisprudence de la Cour de Cassation, il peut être dit qu’en maintenant les terres contre le mur séparatif, le propriétaire actuel a contribué à la pérennité du dommage qui résulte pourtant du comportement du propriétaire antérieur (Cass. 17.11.1995, J.L.M.B., 1997, p. 274).
Certes, le propriétaire des terres qui s’appuient sur le mur se détériorant, pourrait objecter l’existence d’une prescription et le fait que la situation est ancienne.
L’article 2262 bis du Code Civil relève : « Par dérogation à l’alinéa 1er, toute action en réparation d’un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle, se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable ».
La fixation du point de départ de cette prescription est déterminante. De nombreux développements sur cette question sont intervenus dans la doctrine et la jurisprudence
Nous retiendrons notamment ce qui suit : « La connaissance d’un premier dommage réalisé implique celle de dommages autres ou futurs, pour autant qu’ils soient certains ou au moins prévisibles et le dommage incertain mais raisonnablement prévisible ne constitue pas une aggravation au sens de la loi. Il se prescrit avec le dommage initial » (M. MARCHANDISE, La Prescription, T. VI nouveau de DE PAGE, BRUYLANT, 2014, N° 314, p. 391 et p. 292).
Donc, si le propriétaire du mur qui subit la pression des terres perçoit l’existence d’un dommage, il doit tout mettre en œuvre pour interrompre la prescription.
Mais souvent, ce dommage s’étend sur une période relativement longue (détérioration progressive).
Heureusement, il peut être pris aussi en compte « l’augmentation imprévisible du dommage à partir de laquelle prendrait cours le délai de prescription ».
Nous ne pouvons donc qu’insister pour une réaction rapide du propriétaire de la clôture endommagée en rappelant que l’interruption de la prescription requiert une citation en justice.
Rien n’empêcherait évidemment les propriétaires « sinistrés » de citer en justice pour bénéficier de cette interruption, puis, ce qu’il importe toujours de faire entre voisins, de « se mettre à table » pour tenter une discussion sereine quant à la répartition des frais.
Que de fois nous insistons sur l’intérêt d’une bonne relation de voisinage.
Et, dans la négociation espérée ou, à défaut, dans les arguments à développer devant le Juge de Paix, s’il y a débat judiciaire, il pourrait toujours être évoqué par le propriétaire des terres qui s’appuient sur le mur que le dommage aurait pu être évité ou à tout le moins limité si ledit mur avait été correctement entretenu.
Il pourrait donc être fixé « un coefficient de vétusté » avec pour effet de laisser à tout le moins une partie des frais de reconstruction à charge du propriétaire du mur.
Votre mur est mitoyen
L’ancien article 653 du Code Civil relevait : « Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen, s’il n’y a titre ou marque du contraire ».
Que dit le nouvel article 3.105 du nouveau Droit des Biens ?
« Les clôtures réalisées en limite séparative ou à cheval sur la ligne séparative sont présumées mitoyennes, sauf prescription acquisitive ou titre contraire.
S’il n’est pas établi que la clôture se trouve à cheval sur la ligne séparative, la présomption de mitoyenneté peut aussi être contredite par une marque de non-mitoyenneté.
Les marques de non-mitoyenneté sont, sauf preuves contraires les suivantes :
Un mur est présumé appartenir au propriétaire du fonds vers lequel son sommet est incliné ou du côté duquel il existe des éléments architecturaux attestant de son caractère privatif.
Un fossé est présumé appartenir au propriétaire du fonds du côté duquel se trouve le rejet de terres.
Une clôture est présumée appartenir au propriétaire du fonds clos lorsqu’un seul des fonds est entièrement clôturé. »
Ainsi, la mitoyenneté, dans cet article, est certes la règle mais si votre acte (en ce compris les mentions relatives à la superficie qui engloberaient alors sans contestation le mur) permet de déduire que la clôture est privative, cette règle ne s’applique pas.
Elle ne s’applique pas non plus, s’il peut être constaté des marques de non-mitoyenneté relevées par le législateur.
Mais le plus grand changement résulte d’une présomption nouvelle reprise aussi à l’article 3.105 du Droit des Biens.
« Sauf prescription acquisitive ou titre contraire, un mur de soutènement sur lequel le voisin n’exerce aucun droit est présumé privatif au propriétaire du fonds dont il soutient les terres ».
Voilà qui permettra donc sans doute d’éviter certaines discussions (mais pas toutes) …
Cette présomption nouvelle pourrait ainsi dispenser le propriétaire « sinistré » de devoir subir la règle de l’indemnisation à concurrence de moitié de ce mur endommagé, les frais de réparation devant être supportés dans leur globalité par le voisin dont les terres appuient sur le mur alors que, si ce mur gardait le statut de mitoyen, la réparation serait à charge des deux parties.
ATTENTION : cette présomption de « privativité » peut encore être contredite par un titre (acte authentique) ou par la prescription, c’est-à-dire, pendant un délai de 10 ans (article 3.27), par une possession commune continue, paisible, publique et non équivoque du mur considéré alors comme mitoyen.
On peut aussi se poser la question suivante : ce mur de clôture qui est un mur de soutènement est-il privatif sur toute sa hauteur ?
Dans la note sous le jugement de la Justice de Paix de Charleroi (premier canton) du 25.11.2021 (J.P. 09/10/2022, p. 504) l’auteur relève :
« La nuance relative à la hauteur du mur de soutien des terres n’est pas consacrée par la nouvelle disposition de sorte que ce type d’ouvrage est réputé privatif, indépendamment de la hauteur à laquelle ce mur dépasse le sol du jardin supérieur, et quand bien même il serait établi sur la ligne séparative ».
Ainsi, si ce mur ne soutient que peu de terres, jouira-t-il du statut de « présumé privatif » sur toute sa hauteur ?
Bref, nos Juges de Paix, saisis de cette question, devront certainement se livrer à certaines interprétations du texte légal et aussi à se faire assister par des experts car la présomption de « privativité » ne règlera pas le problème de la relation causale certaine entre l’amoncellement des terres et le dommage au mur.
Monsieur le Juge de Paix du 1er canton de Charleroi, dans une décision publiée (J.P. 09.10.2022, p. 502), pour motiver sa décision, s’est basé sur un rapport d’architecte.
Ainsi, quant à cette relation causale, il relève :
« … il paraît, difficilement contestable que l’apport (d’un côté) de terres contre un mur, sans que celui-ci ne soit construit en fonction de cette présence de terres ni ne dispose d’isolation par la pose d’une membrane d’étanchéité, constitue l’élément déterminant ayant contribué à l’écroulement du mur.
Il n’est, à cet égard, pas véritablement contesté que la surélévation des terres a été opérée après la construction du mur de clôture puisque les joints des briques suivent la pente naturelle du jardin, comme dans tout le voisinage.
Manifestement, cet apport de terres a été décidé par un ancien propriétaire… pour disposer d’un terrain plane et non pas en pente comme le sont les terrains proches.
Le Tribunal estime qu’il s’agit de la circonstance la plus conséquente étant à l’origine de la ruine du mur ».
En conclusion
Nous pouvons relever que cette modification législative, certes intéressante, représente un intérêt toutefois limité.
En effet, que le mur séparatif soit présumé privatif ou considéré comme mitoyen, la fixation des responsabilités et des indemnisations liées à sa détérioration, ne pourra intervenir qu’en fonction de la démonstration d’une relation causale liée, d’une part, à l’amoncellement des terres et, d’autre part, au dommage subi.