De multiples actes de base prévoient des clauses liées au mode d'occupation des lots. Ainsi, que de litiges au sein des Copropriétés, naissent d'une exploitation du rez-de-chaussée par un commerce attirant une clientèle nombreuse, parfois bruyante et qui, de ce fait, perturbe la tranquillité du bien ! ll peut aussi s'agir d'une occupation des lieux par un empiètement d'un restaurateur sur des parties communes, telle une terrasse.
Nous ne nous étonnerons pas, vu la nouvelle importance de ce lieu extérieur pour une rentabilisation meilleure en cette période de COVID, que ce type de litige se développe.
Le Juge de Paix pourrait ainsi être appelé à statuer à la demande de l'ACP (Association des Copropriétaires) relevant que le COVID ne justifie pas, au nom d'une rentabilité à retrouver rapidement pour le restaurateur, un empiètement sur des parties communes.
Peut-être, dans certains cas, jugera-t-il qu'une telle demande est abusive sur base de la théorie de l'abus de droit.
Une partie ne peut abuser des droits qui lui sont conférés (fut-ce sur base des statuts).
Mais pareil abus supposerait alors que, en réclamant l'application de son droit (à voir le restaurateur ne plus empiéter, éventuellement légèrement, sur cette partie commune) l'ACP en retire un avantage disproportionné à la charge corrélative de l'autre.
Gageons que la période très difficile connue par les restaurateurs pourrait avoir une incidence sur les décisions futures.
La question que nous aborderons dans le présent article est distincte et sera liée à la non-conformité d'un usage d'un lot par rapport à une description précise de celui-ci dans l'acte de base et non par rapport à l'étendue de ce lot.
Le jugement rendu par le Tribunal de Première Instance de Bruxelles du 4 février 2020 (Revue Copropriété et Droit immobilier, 2020/3, p. 29) comporte certains enseignements utiles et nous nous permettrons de les commenter dans les dispositions qui nous intéressent.
1. Quant aux éléments de fait de la cause
Les consorts X ont fait l'acquisition, dans un même immeuble, tant d'un appartement que d'un local privatif situé au rez-de-chaussée décrit dans l'acte de base comme « bureau et water-closed avec lavabo ».
Ce dernier local a été aménagé et, ce de fait, comprenait un cabinet de toilette équipé d'une douche, d'un chauffage électrique au sol, d'eau chaude et froide, de compteurs privatifs d'eau et d'électricité ainsi que d'une petite cuisine.
Les consorts X ont pu louer distinctement ce local à titre de résidence-logement, notamment à des stagiaires et étudiants, et, selon eux, sans aucune opposition de l'A.C.P. (Association des Copropriétaires).
En 2000, ils font choix de céder leur appartement mais ne se départissent pas de ce local aménagé, celui-ci étant vraisemblablement fort rentable au vu de la possibilité de le louer et de la demande pour ce type de studio.
Mais deux autres copropriétaires, vu les nuisances consécutives à l'occupation de ce studio (odeurs de tabac et de cuisson, etc...) demandent de mettre un terme à la situation de location de ce local.
Après tentative de conciliation, le syndic reçoit alors de l'Assemblée Générale la mission de lancer la procédure « afin qu'il soit dit pour droit que le studio ne peut pas être utilisé comme résidence... ».
2. Quant aux éléments de droit soulevés et tranchés par le tribunal
Nous aborderons deux points : celui de la prescription avec la question de la date de prise de cours et celui de l'incidence d'une attestation de conformité des lieux délivrée par la Région Bruxelloise.
Sur la prescription
Le Tribunal relève préalablement que l'action entreprise est une action réelle touchant une clause d'habitation bourgeoise fixant la destination d'un bien et non une action personnelle, ce qui explique qu'elle se prescrit par un délai de trente ans.
Mais selon le Tribunal, en l'espèce, la tolérance par rapport à cette situation (affectation du lot contraire à l'acte de base) ne fait pas systématiquement débuter le délai pour la prescription trentenaire.
Le Tribunal relève que « rien n'indique que ce fait (affectation contraire) ait été connu de l'A.C.P. en 1992 ».
Il est considéré par le Tribunal :
« Le fait que cette A.C.P. ait, des années durant, toléré l'occupation de ce local par des tiers à la Copropriété, ne suffit pas à démontrer une prescription acquisitive ou extinctive ni l'acceptation de principe de la modification des lieux loués, aucune des pièces déposées ne prouvant qu'elle était informée d'une autre occupation que celle d'un logement d'appoint, avant les incidents de 2007 ».
C'est donc, selon le Tribunal, la connaissance acceptée de la situation qui ferait débuter le délai de la prescription.
S'il est vrai qu'en matière de prescription d'action personnelle, le législateur a voulu que le délai ne commence à courir qu'à partir du moment où le titulaire du droit d'action dispose de tous les éléments pour formuler sa demande, nous ne pensons pas que cette connaissance soit requise dans le cadre d'actions réelles.
Et nous pensons à d'autres situations fréquentes dans le droit de la Copropriété, notamment celles d'un empiètement dans une zone de garages d'une partie comme décrite dans les statuts pour l'entreposage de poubelles mais qui, depuis trente ans, permet à un copropriétaire de disposer d'un emplacement de parking plus vaste.
Cette tolérance, jamais remise en cause, n'est-elle pas susceptible de permettre au copropriétaire bénéficiaire de cet avantage d'invoquer la prescription, quand bien même la connaissance effective de cet empiètement par l'ACP n'est pas démontrée ?
Sur l'Incidence d'une attestation de conformité des lieux
Sur ce point, nous partageons, sans réserve, l'approche du Tribunal.
Les règles régissant la Copropriété par les statuts doivent primer et il importe peu que soit produit un document en provenance de l'Urbanisme ou de toute autre autorité qui viendrait à ne pas soulever « l'illégalité » de l'affectation.
Quelles sont les conclusions que nous croyons pouvoir tirer de cette décision ?
Afin d'éviter tout débat sur la date de prise de cours de la prescription qui pourrait être invoquée par un copropriétaire, il est prudent, en tout état de cause, dès la connaissance de l'usage d'une partie privative contraire aux statuts, de s'opposer à ce qui pourrait être une tolérance.
La Copropriété n'a pas à être ébranlée par une attestation ou une décision en provenance de l'Urbanisme qui relèverait que l'affectation d'un lot d'une Copropriété n'est pas illégale si ladite affectation est contraire aux statuts.
Ce sont ceux-ci qui doivent primer.