La Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation du Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat et autres associations contre différentes dispositions du décret wallon sur le bail d’habitation.
Voila un arrêt de la Cour constitutionnelle 23/2020 du 13 février 2020 (MB 2020-04-17) dont d’aucuns ne se sont pas vantés. Nous pensons à :
l'ASBL « ATD Quart Monde Belgique »,
la « Confédération des Syndicats Chrétiens de Belgique »,
la « Fédération Générale du Travail de Belgique »,
l'ASBL « Rassemblement wallon pour le droit à l'habitat »,
l'ASBL « Présence et Action Culturelles »,
l'ASBL « Action Chrétienne Rurale des Femmes - Femmes en milieu rural »,
l'ASBL « ‘Vie féminine’, Mouvement féministe d'action interculturelle et sociale »,
l'ASBL « Réseau wallon de lutte contre la pauvreté »,
l'ASBL « Fédération wallonne ‘Rassemblement des Associations de Promotion du Logement’ »
le « Mouvement Ouvrier Chrétien »,
l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme »,
l'ASBL « Centre National des Equipes Populaires »,
l'ASBL « Fédération des maisons d'accueil et des services d'aide aux sans-abri »
et l'ASBL « Fédération des Services Sociaux ».
Ces différentes associations qui ne veulent pas que du bien aux bailleurs, avaient introduit un recours en annulation totale ou partielle des articles 6, alinéas 2, 5°, 7° et 8°, 3 et 4, 62, § 1er, et 66 du décret de la Région wallonne du 15 mars 2018 « relatif au bail d'habitation » (publié au Moniteur belge du 28 mars 2018) et en annulation partielle de l'article 21 du même décret.
Il ne nous est pas possible de reproduire tout l’arrêt mais nous le tenons à la disposition de nos membres intéressés. Dans le présent
article, nous mettons en évidence les passages les plus intéressants et principalement l’argumentation de la Cour pour rejeter les principaux griefs et moyens des associations requérantes.
Cet arrêt vient utilement compléter l’arrêt que le SNPC a obtenu en 2018 et qui annulait le saut d’index loyer en Région wallonne. Le professeur Nicolas Bernard n’avait pas manqué de titrer un article commentant cet arrêt de Patatra, nous en sommes maintenant à Patatra 2.
Ces deux décisions au-delà de points spécifiques qui y étaient visés, devraient faire réfléchir celles et ceux qui s’échignent à vouloir encore réduire les droits des bailleurs.
Nous renvoyons aux passages en gras qui sur le plan des principes sont fort importants et devraient à l’avenir continuer à faire jurisprudence.
La liberté de choix par le bailleur de son locataire: la bête noire
Principalement dans la ligne de mire des associations requérantes, l'article 6, alinéas 2,
5°, 7°, 8°, 3 et 4, du décret attaqué.
L'article 6 du décret attaqué dispose : « Le bailleur choisit le preneur librement et sans discrimination, au sens du décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. Le bailleur peut solliciter auprès du candidat preneur les données générales suivantes en vue de procéder à la sélection et à la conclusion du contrat de bail, et le cas échéant, les justificatifs y afférents :
1° nom et prénom du ou des candidats preneurs;
2° un moyen de communication avec le candidat;
3° l'adresse du candidat;
4° la date de naissance ou, le cas échéant, une preuve de la capacité à contracter;
5° la composition de ménage;
6° l'état civil du preneur s'il est marié ou cohabitant légal;
7° le montant des ressources financières dont dispose le candidat-preneur;
8° la preuve du paiement des trois derniers loyers.
Aucune autre donnée ne peut être exigée de la part du bailleur à moins qu'elle poursuive une finalité légitime et que la demande soit justifiée par des motifs sérieux, proportionnés avec la finalité poursuivie. L'alinéa 3 s'applique sans préjudice pour les opérateurs immobiliers de requérir les informations nécessaires à l'exercice de leurs missions définies dans le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable. Cet article est d'ordre public ».
La composition de ménage
En commission des Pouvoirs Locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la Ministre a déclaré :
« Par ‘composition de ménage’, est visé le nombre de personnes composant le ménage, et ce, dans le but d'éviter des situations de surpeuplement d'un logement. N'est donc pas nécessairement visé le document administratif d'une composition de ménage tel que délivré par une administration communale » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/17, p. 12).
La disposition attaquée permet au bailleur de recueillir des informations du candidat preneur sur le nombre de personnes qui occuperont le bien. Le candidat preneur est libre de fournir ces informations sous la forme d'une composition de ménage délivrée par l'administration communale ou de toute autre manière. La disposition attaquée, lue à la lumière des explications de la Ministre, en revanche ne permet pas au bailleur d'exiger la production d'un document intitulé « composition de ménage » délivré par l'autorité communale.
Du reste, dans de nombreuses hypothèses, le fait d'exiger la production d'un tel document ne permettrait pas au bailleur de se faire une idée exacte du nombre de personnes qui occuperont le bien proposé en location, dès lors que le déménagement du preneur peut précisément être causé par une modification de la composition de son ménage, modification qui ne saurait par hypothèse apparaître sur le document délivré par l'autorité communale de l'ancien domicile.
Le moyen n’est pas fondé.
Le montant des ressources financières
L'exposé des motifs indique :
« Les justificatifs afférents aux ressources financières dont dispose le candidat preneur peuvent prendre la forme d'extrait de compte par exemple, ou encore de fiche de paie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
En commission des Pouvoirs Locaux, du Logement et des Infrastructures sportives, la Ministre a confirmé que le bailleur ne pouvait s'enquérir que des montants des revenus du candidat preneur et non de la nature de ces revenus (Doc. parl., Parlement wallon, 20172018, n° 985/17, p. 19).
La liste des informations pouvant être recueillies par le bailleur, établie par l'article 6, alinéa 2, du décret attaqué, est exhaustive. Il en résulte que, dès lors que cette liste ne mentionne pas l'origine des ressources financières du candidat preneur, le bailleur ne peut exiger la communication de cette information. En se limitant à citer « le montant des ressources financières dont dispose le candidat-preneur », la disposition attaquée n'autorise pas le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il l'informe sur l'origine de ses ressources. Si ce dernier est libre de produire un extrait de compte ou une fiche de paie, rien ne lui interdit de fournir l'information relative au montant de ses ressources sur la base d'un autre document fiable.
Le moyen n’est pas fondé.
La preuve du paiement des trois derniers loyers
Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir autorisé le bailleur à exiger du candidat preneur qu'il fournisse la preuve du paiement des trois derniers loyers relatifs au logement qu'il a l'intention de quitter, ce qui serait impossible pour un grand nombre de candidats preneurs, pour diverses raisons.
Elles estiment que cette possibilité entraîne un recul significatif dans le droit au logement de nombreuses personnes, ce dont il résulte qu'elle viole l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution et qu'elle crée un risque de discrimination. Elles estiment aussi que cette possibilité entraîne une violation du droit au respect de la vie privée du candidat preneur.
L'exposé des motifs indique :
« Le bailleur peut également demander au candidat-preneur la preuve de paiement des trois derniers loyers à l'instar de ce qui est prévu par UNIA (centre interfédéral de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances) dans son formulaire-type de candidat-locataire mis en ligne et à disposition de l'Institut Professionnel des Agents Immobiliers (IPI) » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, aucune disposition ne limitait les informations et documents que le bailleur pouvait exiger des candidats preneurs en vue de sélectionner le locataire. Le bailleur pouvait donc, notamment, solliciter des candidats la preuve du paiement des trois derniers mois de loyer. En autorisant expressément les bailleurs à demander cette preuve, la disposition attaquée n'occasionne pas de recul dans la protection du droit au logement. Partant, l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution ne saurait être violée.
En autorisant les bailleurs à exiger des candidats preneurs qu'ils fournissent la preuve du paiement des trois derniers mois de loyer, la disposition attaquée, selon les parties requérantes, crée une différence de traitement entre les candidats preneurs qui peuvent fournir cette preuve et ceux qui ne peuvent le faire, pour quelque raison que ce soit, et qui auront plus de difficultés à trouver un logement. Par ailleurs, elle est susceptible d'obliger les candidats preneurs qui ne disposent pas de cette preuve à fournir au bailleur des explications relatives à des éléments qui relèvent de leur vie privée.
Il ressort des extraits des travaux préparatoires du décret attaqué cités que le législateur décrétal entendait, notamment, créer les conditions propices à l'instauration d'un climat de confiance entre les parties au bail. La fiabilité du preneur et sa capacité à honorer ses obligations contractuelles, parmi lesquelles le paiement du loyer occupent une place centrale et sont assurément déterminantes dans la relation de confiance.
Le législateur décrétal a pu estimer que, dans certaines hypothèses, le seul montant des moyens financiers du candidat preneur ne suffisait pas pour rassurer le bailleur. Il a pu, de même, considérer que la preuve du paiement des loyers antérieurs pouvait utilement compléter cette information. La disposition attaquée comporte dès lors une mesure pertinente pour atteindre l'objectif poursuivi.
La disposition attaquée n'exige pas qu'une telle preuve soit fournie chaque fois qu'un contrat de bail est signé et elle n'impose pas aux bailleurs de réclamer cette preuve dans toutes les circonstances. Elle n'empêche pas que le candidat preneur expose au bailleur les motifs pour lesquels il ne lui est pas possible de fournir cette preuve, tout en ne lui imposant pas, pour ce faire, de dévoiler contre son gré des éléments de sa vie privée. Elle n'entraîne dès lors pas d'effets disproportionnés pour les candidats preneurs qui ne pourraient présenter au bailleur la preuve du paiement des trois derniers loyers.
Le moyen n’est pas fondé.
La possibilité pour le bailleur d'exiger d'autres données
Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'avoir, par l'article 6, alinéa 3, du décret attaqué, permis au bailleur d'exiger d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition. Elles considèrent que cette disposition occasionne un recul significatif dans la protection du droit au logement, qu'elle crée une différence de traitement injustifiable entre les candidats preneurs, selon que le bailleur exige ou non des preuves et documents supplémentaires, qu'elle permet au bailleur de discriminer les locataires et qu'elle comporte une atteinte au droit au respect de la vie privée des candidats preneurs.
Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, aucune disposition ne limitait les informations et documents que le bailleur pouvait exiger des candidats preneurs en vue de sélectionner le locataire. La disposition attaquée, en autorisant expressément, à certaines conditions, les bailleurs à demander d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition, n'occasionne donc pas de recul dans la protection du droit au logement. Partant, l'obligation de standstill contenue dans l'article 23 de la Constitution ne saurait être violée.
La disposition attaquée, en autorisant les bailleurs à demander au candidat preneur, à certaines conditions, de fournir d'autres données que celles qui sont énumérées par l'alinéa 2 de la même disposition, crée, selon les parties requérantes, une différence de traitement entre les candidats preneurs, suivant les données qui sont exigées par les bailleurs. Elle permet également que le bailleur exige la communication de données qui relèvent de la vie privée du candidat preneur.
L'exposé des motifs relatif à cette disposition précise qu' « aucune autre donnée ne pourra être sollicitée et recueillie par le bailleur sauf si cette production est justifiée par des motifs sérieux et proportionnés avec la finalité poursuivie » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 8).
Contrairement à la situation antérieure dans laquelle les bailleurs étaient libres de recueillir toutes les informations qu'ils jugeaient utiles en vue de sélectionner leur cocontractant, le législateur décrétal a entendu encadrer strictement les possibilités du bailleur d'exiger la communication d'informations et la production de documents justificatifs lors de la sélection du candidat preneur. Il n'est pas dénué de justification qu'il ait en outre prévu la possibilité, à certaines conditions, pour le bailleur de solliciter des informations ou documents qui ne sont pas cités dans la liste limitative. Il a en effet pu estimer que certaines informations impossibles à énumérer exhaustivement, qui ne sont pas pertinentes dans tous les cas, peuvent l'être dans certaines situations.
Le législateur décrétal n'autorise pas pour autant le bailleur à discriminer les candidats preneurs sur la base de critères prohibés par la législation en vigueur en Région wallonne. La disposition attaquée ne déroge en effet d'aucune façon au décret du 6 novembre 2008 « relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination » et rappelle d'ailleurs, en son alinéa 1er, le principe de l'interdiction de pratiquer la discrimination au sens de ce décret. La disposition attaquée n'autorise pas davantage le bailleur à violer la législation relative à la protection de la vie privée.
Enfin, l'article 6, alinéa 3, attaqué, précise que le bailleur ne peut exiger d'autres données de la part du candidat preneur qu'à la condition que cette exigence poursuive une finalité légitime et qu'elle soit justifiée par des motifs sérieux et proportionnés à cette finalité. S'agissant d'une exception au principe énoncé par l'alinéa 2 de la même disposition suivant lequel le bailleur ne peut solliciter que les données et justificatifs énumérés par l'article 6, la possibilité de demander d'autres données doit être interprétée strictement. Sous cette réserve, la disposition attaquée n'entraîne pas d'effets disproportionnés sur les droits des candidats preneurs.
Le moyen n’est pas fondé.
Les travaux économiseurs d'énergie
L’article 21 du décret dispose : « Si, durant le bail, la chose louée a besoin de réparations urgentes et qui ne puissent être différées jusqu'à sa fin ou si des travaux économiseurs d'énergie dont la liste est établie par le Gouvernement sont réalisés aux conditions fixées par celui-ci, le preneur doit les souffrir, quelque incommodité qu'elles lui causent, et quoiqu'il soit privé, pendant qu'elles se font, d'une partie de la chose louée. Si ces réparations ou ces travaux économiseurs d'énergie durent plus de quarante jours, le prix du bail sera diminué à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont il aura été privé. Si les réparations ou les travaux économiseurs d'énergie sont de telle nature qu'ils rendent inhabitable ce qui est nécessaire au logement du preneur et de sa famille, celui-ci pourra faire résilier le bail ».
Les parties requérantes font grief au législateur décrétal d'autoriser le bailleur à imposer des travaux non urgents économiseurs d'énergie au locataire en cours de bail. Elles estiment que la disposition attaquée est contraire à l'article 23, alinéa 2, de la Constitution, en ce que celui-ci contient une obligation de standstill relative au droit à un logement décent et à la jouissance paisible de celui-ci.
L'exposé des motifs relatif à cette disposition indique :
« Les travaux économiseurs d'énergie dont la liste est établie par le Gouvernement sont ajoutés aux travaux qui peuvent être effectués durant le bail par le bailleur, quels que soient les inconvénients qu'ils causent au preneur. Cet ajout vise à encourager les travaux visant à la réduction de la consommation énergétique des biens, lesquels ne peuvent une fois terminés, que bénéficier au preneur » (Doc. parl., Parlement wallon, 2017-2018, n° 985/1, p. 10).
Avant l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, les preneurs n'avaient à subir que les réparations urgentes ne pouvant être différées et ils pouvaient s'opposer à la réalisation de tous autres travaux dans le bien loué en cours de bail. La disposition attaquée ajoute une autre catégorie de travaux susceptibles d'être imposés au preneur en cours de bail.
L'adaptation du parc immobilier wallon aux défis actuels en matière de réduction de la consommation d'énergie nécessite la réalisation de travaux que le législateur décrétal a pu légitimement vouloir encourager. La possibilité de réaliser ces travaux en cours de bail, même sans l'accord du preneur, est une mesure de nature à concourir à l'objectif de réduction globale de la consommation d'énergie en Région wallonne.
La liste des travaux économiseurs d'énergie pouvant être imposés au preneur en cours de bail doit être arrêtée par le Gouvernement wallon, de sorte que le bailleur ne pourrait imposer au preneur n'importe quel type de travaux, sous prétexte qu'ils ont un effet positif sur la consommation d'énergie. La disposition attaquée prévoit par ailleurs que si les travaux durent plus de quarante jours, le loyer doit être réduit en conséquence et que le preneur peut faire résilier le bail si les parties du bien loué nécessaires au logement sont rendues inhabitables à la suite des travaux. Enfin, il faut encore relever que les travaux concernés ayant pour objectif de faire réaliser des économies d'énergie ont des répercussions positives pour les occupants de l'immeuble concerné, tant en termes de confort d'habitation que de réduction de la consommation d'énergie et des dépenses qui y sont liées.
En outre, il convient de relever que, pour être efficaces, certains travaux visant à économiser l'énergie doivent être effectués sur l'intégralité du bâtiment. Lorsque le bien loué fait partie d'une copropriété comprenant plusieurs biens loués indépendamment, l'obligation d'attendre la fin du bail et la libération des différents logements composant l'immeuble risquerait de rendre la réalisation de ces travaux impossible, ce qui porterait atteinte à l'objectif poursuivi par le législateur décrétal.
Sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la disposition attaquée occasionne un recul significatif du degré de protection du droit à un logement décent des preneurs en Région wallonne, il suffit de constater que la mesure attaquée est justifiée adéquatement par un motif lié à l'intérêt général.
Le moyen n’est pas fondé.
Solidarité des colocataires
L'article 66 du décret attaqué dispose : « Les colocataires sont solidairement tenus de l'ensemble des obligations qui découlent du bail ».
Les parties requérantes font grief à cette disposition d'instituer la solidarité de droit entre colocataires, de sorte que ceux-ci sont désormais tous tenus solidairement de leurs obligations à l'égard du bailleur et que le défaut de l'un d'entre eux doit être assumé par les autres. Par le premier moyen, en sa quatrième branche, elles font valoir que cette disposition constitue un recul du degré de protection du droit au logement contraire à l'article 23 de la Constitution.
Constatant que la pratique de la colocation se répandait en Wallonie, le législateur décrétal a estimé nécessaire de prendre des dispositions s'appliquant à cette forme d'occupation de biens loués qui ne faisait l'objet, auparavant, d'aucune disposition spécifique. La disposition attaquée s'inscrit dès lors dans un ensemble de règles relatives au bail de colocation, qui font l'objet du chapitre IV du décret du 15 mars 2018. Le législateur décrétal a entendu établir une sécurité juridique propice au développement de ce type de contrats de bail, dans l'intérêt de toutes les parties concernées.
La solidarité instituée par la disposition attaquée constitue indéniablement une assurance pour le bailleur. En contrepartie, chaque colocataire a la possibilité de mettre fin à ses obligations avant le terme du bail, moyennant le respect d'un préavis de trois mois et le paiement d'une indemnité à ses colocataires s'il n'est pas remplacé par un nouveau colocataire agréé par le bailleur et par les colocataires, étant entendu que l'agrément du candidat colocataire ne peut être refusé que pour de justes motifs (article 68 du décret attaqué).
Sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la disposition attaquée occasionne un recul significatif dans la protection du droit au logement des personnes qui habitent en colocation, il suffit de constater que la solidarité critiquée s'inscrit dans un ensemble de règles fixant les droits et les devoirs des parties au contrat de bail et que chaque colocataire a la possibilité de se délier, avant le terme du bail, de ses obligations vis-à-vis du bailleur et des autres colocataires, moyennant un préavis et le paiement d'une indemnité éventuelle. Il s'ensuit que ces règles, examinées ensemble, sont justifiées par le motif d'intérêt général consistant à sécuriser les relations juridiques entre les parties de manière cohérente et équilibrée.
Le moyen n’est pas fondé.
Quant au défaut d’indemnisation forfaitaire du preneur expulsé sans titre judiciaire ou contrait de quitter son logement, les parties requérantes font grief au législateur décrétal de n'avoir pas prévu d'indemnisation forfaitaire au bénéfice du preneur expulsé « sauvagement » de son logement ou contraint par la force de le quitter, alors qu'il a prévu une indemnisation forfaitaire équivalente à dix-huit mois de loyer au bénéfice du preneur obligé de quitter le logement à la suite d'un congé donné illégalement.
L'article 55 du décret attaqué prévoit, en ses paragraphes 2 et 3, la possibilité pour le bailleur de mettre fin anticipativement au bail pour occupation personnelle (ou assimilée) ou pour la réalisation de travaux de transformation de l'immeuble. Dans ces deux hypothèses, s'il s'avère par la suite que le motif du congé n'est pas réalisé conformément à ce qui avait été annoncé pour justifier la fin de bail, le preneur a droit à une indemnité équivalente à dix-huit mois de loyer (article 55, § 2, alinéa 4, et § 3, alinéa 5).
Le moyen invite la Cour à comparer, d'une part, la situation des preneurs à qui un congé est donné, conformément à l'article 55, § § 2 ou 3, du décret attaqué, pour occupation personnelle par le bailleur ou pour la réalisation de travaux de transformation du bien et, d'autre part, la situation des preneurs qui sont forcés de quitter le bien loué sans que le bailleur n'ait obtenu du juge de paix un titre permettant l'expulsion. La première catégorie de preneurs évincés a droit à une réparation forfaitaire équivalente à dix-huit mois de loyer, alors que la seconde catégorie de preneurs évincés doit établir le montant de son dommage pour obtenir réparation.
La différence de traitement attaquée repose sur le critère du motif pour lequel le congé donné au preneur est illégal. Ce critère est objectif. La Cour doit examiner s'il est pertinent au regard de l'objet de la mesure et si celle-ci n'entraîne pas des effets disproportionnés pour les preneurs forcés de quitter leur logement de manière illégale.
Le congé donné en vertu de l'article 55, § § 2 ou 3, du décret attaqué ne saurait être jugé illégal au moment où il est signifié. Son illégalité n'apparaît, le cas échéant, que plusieurs mois plus tard, lorsqu'il est constaté que le bien n'est pas occupé par le propriétaire ou par une personne visée par l'article 55, § 2, alinéa 1er, ou que les travaux prévus n'ont pas été réalisés.
En revanche, le bailleur qui force le preneur à quitter les lieux loués sans avoir obtenu de titre judiciaire lui permettant de procéder à l'expulsion commet une violation de l'article 1184 du Code civil, qui prévoit que la résolution du contrat doit être demandée en justice. En outre, l'expulsion forcée peut également être constitutive d'une violation de domicile, qui peut être poursuivie pénalement sur la base de l'article 439 du Code pénal.
Le preneur illégalement forcé de quitter le bien loué peut s'opposer à cette voie de fait et saisir à cette fin une juridiction, civile ou pénale selon les cas, afin de faire cesser l'illégalité ou en vue d'obtenir réparation de son dommage. Celui-ci peut être évalué par le juge saisi en tenant compte de tous les éléments de la situation de fait. En revanche, le preneur à qui un congé a été donné pour occupation personnelle ou pour la réalisation de travaux qui s'aperçoit, ultérieurement, que le motif du congé n'a pas été réalisé a plus de difficultés à établir le dommage qu'il a subi.
Le législateur décrétal a pu craindre que certains bailleurs ne détournent les possibilités de congé pour occupation personnelle ou pour la réalisation de travaux dans le but de mettre fin au bail à tout moment, sans grand risque pour eux d'être amenés à indemniser le preneur évincé plusieurs mois après le congé s'il était constaté que le motif justifiant le congé n'avait pas été réalisé. Il a dès lors pu juger nécessaire de prévoir une indemnité forfaitaire au profit du preneur se trouvant dans cette situation, en vue de dissuader les bailleurs de recourir abusivement aux motifs de rupture du contrat de bail.
En revanche, le législateur décrétal a pu estimer que les possibilités d'action en justice ouvertes au preneur qui est victime d'une expulsion de fait, sans titre judiciaire, ne justifiaient pas de prévoir en plus une indemnité forfaitaire au bénéfice de ce dernier. En outre, en raison de la diversité des situations pouvant être comprises comme étant des expulsions forcées sans titre, il serait difficile de fixer une indemnité forfaitaire trouvant à s'appliquer dans tous les cas.
Le moyen n’est pas fondé.