Les propriétaires préjudiciés par la contamination au PFAS pourront-ils invoquer la théorie des troubles de voisinage ?

Le CRI n°480 - Janvier 2024
Les propriétaires préjudiciés par la contamination au PFAS pourront-ils invoquer la théorie des troubles de voisinage ?

Cette question, d’actualité, est bien naturellement sensible et dès lors son analyse périlleuse.

Le scandale des PFAS en Belgique a mis en lumière la défaillance de la communication sur sa présence dans l’eau « potable » wallonne à plusieurs niveaux, tant politique qu’administratif.

La position de la Ministre Wallonne de l’Environnement reste fragile.

Mais nous ferons choix de ne pas aborder cette question de nature plus politique, pour nous en tenir à la position juridique possible à prendre à l’égard du pollueur, responsable de la concentration de PFAS.

Rappelons tout d’abord que les PFAS sont des substances chimiques largement utilisées dans de nombreux produits de consommation courant tels que les revêtements auto-adhésifs, les emballages alimentaires, les textiles, les cosmétiques et les produits de nettoyage.

Ils sont également présents dans l’eau potable, les sols (ce qui intéresse plus particulièrement les propriétaires de ceux-ci) et l’air.

Ils sont considérés comme des polluants émergents.

Le seuil accepté pour les PFAS varie selon les pays et les régions ainsi que selon le type de PFAS et les matrices environnementales (eau ou sol ou air, etc…).

Il n’existe pas de normes internationales uniques pour les PFAS mais certains organismes ont émis des recommandations ou des directives à ce sujet.

Sur le plan des normes applicables, il y a des discussions possibles et, partant, soutenir une responsabilité dans le chef du pollueur uniquement pour non-respect de ces normes risque d’être mal aisé.

Est-ce à dire que « le pollueur » ne peut encourir aucune condamnation ?

Nous avons trouvé une décision intéressante du 5ème canton de la Justice de Paix d’ANVERS du 13 mai 2023 liée à des valeurs PFAS anormalement hautes dans le sol de leur propriété mais aussi dans le corps des propriétaires… (le sang).

Nous résumerons ici ce qui se trouve dans le sommaire de la décision (Journal des Juges de Paix, juillet-août 2023, La CHARTE, p. 245).

« L’existence de la pollution ressort des déclarations de la partie défenderesse elle-même lors de la Commission d’Enquêtes Parlementaires, ce qui constitue un aveu extrajudiciaire.

Le titulaire d’un permis pour une activité polluante n’est pas exclu, par définition, sur la seule base du permis, de la responsabilité pour un trouble de voisinage (c’est nous qui soulignons)…

Le caractère excessif du trouble de voisinage ressort des valeurs PFAS anormalement hautes dans le sol et dans le corps (le sang) des parties demanderesses.

Le trouble de voisinage est imputable à la partie défenderesse puisque la concentration des PFAS, cartographiée par l’Administration flamande, est la plus élevée dans la Province d’ANVERS tout autour de l’établissement de la défenderesse.

Le rétablissement de l’équilibre n’est pas obtenu par un assainissement du sol, qui est une question de droit public mais par le paiement d’un montant provisionnel suite à la perte d’un droit de jouissance et d’usage vu la rupture d’équilibre... »

Gageons que cette décision rendue avant l’épisode PFAS en Wallonie, va donner « certaines idées » à des propriétaires dont le sol est contaminé, voire même dont la santé (vu la concentration dans le sang) pourrait être altérée.

La force de ce jugement est de s’être placée non sur le terrain de la responsabilité quasi délictuelle requérant la démonstration certaine d’une faute mais sur celui des troubles de voisinage ne requérant pas cette démonstration.

Cette théorie, avant notre nouveau Code Civil, n’avait qu’une assise jurisprudentielle mais son entrée dans notre Code Civil, dans des litiges de nature environnementale, va permettre au Magistrat de disposer « d’une certaine marge de manœuvres » en étant guidé par « l’équilibre » à respecter entre les propriétaires de fonds voisins.

Il faut toutefois relever que, selon la théorie des troubles de voisinage, ces fonds (entre la propriété et la zone contaminée) ne doivent pas nécessairement être contigus.

Et, comme précisé dans le sommaire de la décision, le permis qui aurait été délivré par les autorités pour l’activité qui a pollué, ne constitue nullement un obstacle à l’examen de l’existence de ce trouble.

La théorie des troubles de voisinage s’articule autour des principes suivants :

  1. Chacun est en droit de jouir normalement de son bien.

  2. Les propriétaires voisins ont un droit égal à la jouissance de leur propriété.

  3. Un équilibre est établi une fois fixés les rapports entre les propriétés voisines. Et cet équilibre est établi compte-tenu des charges normales résultant du voisinage (là est la pouvoir d’appréciation du Tribunal). Il doit être maintenu entre les droits respectifs des propriétaires.

  4. Un fait non fautif peut rompre cet équilibre en imposant un trouble excédant la mesure des inconvénients ordinaires de voisinage.

  5. Le fauteur du trouble ou le perturbateur doit une juste et adéquate compensation qui rétablit l’équilibre (voir notre article sur cette question avec les principes y développés dans LE CRI numéro 452, mars 2021, pp. 30 et suivantes).

Revenons au PFAS et à ses conséquences.

Après que la partie préjudiciée, vraisemblablement éclairée par les analyses entreprises par les Bourgmestres actuellement avertis du danger, vante ce taux « anormalement » élevé en lien avec l’activité d’une entreprise proche, et mette en avant « la rupture d’équilibre », encore faut-il qu’il établisse son préjudice et comment rétablir « cet équilibre »…

Le Juge de Paix d’ANVERS s’est gardé d’imposer un assainissement du sol considérant qu’il s’agit alors d’une question de droit public.

Il apparaît donc considérer que c’est le paiement d’une somme, suite à la perte d’un droit de jouissance et d’usage qui peut rétablir « un certain équilibre ».

Va-t-on voir sous peu des actions judiciaires entreprises par des propriétaires préjudiciés (mais aussi peut être par des consommateurs d’eau de distribution), actions basées sur la théorie des troubles de voisinage ?

Nous suivrons cette évolution.

Cet article n'est valide qu'à la date où il a été publié.
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