Lorsqu’un état de sortie locative conclut à l’existence de dégâts locatifs et chiffre ceux-ci, le bailleur peut-il réclamer les montants repris par l’expert, qu’il exécute ou non les travaux ?
La réponse est clairement positive mais elle mérite quelques explications.
Tout d’abord, les meilleurs auteurs spécialistes du bail sont unanimes pour considérer, avec toute la jurisprudence, que, dans tous les cas, le bailleur a droit à percevoir les montants retenus par l’expert même si ceux-ci peuvent être, dans certains cas, revus par le juge de paix si la question lui est soumise.
En effet, le locataire se voit confier un bien qui, dans l’immense majorité des cas, a fait l’objet d’un état des lieux d’entrée que l’on ne peut qu’assez recommander aux bailleurs. Un état des lieux amiable, rédigé entre parties, ou sur base d’un modèle ou encore de photos, ne vaudra jamais celui rédigé par un spécialiste qui actuellement est d’ailleurs le plus souvent assorti de photos.
Un tel état des lieux présente une sécurité pour les deux parties.
L’expert choisi ou désigné par le juge sur requête unilatérale, comme prévu par le Code judiciaire, adresse généralement un projet d'état des lieux d'entrée ou de sortie qui peut bien sûr faire l’objet d’observations des deux parties car une erreur matérielle ou même visuelle est toujours possible.
Tant le Code civil que les décrets régionaux sur le bail d’habitation reprennent le principe de la responsabilité présumée du locataire en cas d’existence de dégâts même si le Code prévoit expressément que le preneur est présumé avoir reçu les lieux dans l’état où il les délaisse à la sortie. D’où l’intérêt évident et essentiel pour le bailleur de tenir à l’entrée dans les lieux un état détaillé (voir sur ce sujet l’excellent article de Maître Sabine DELHAYE dans "La Revue pratique de l’immobilier" 1/2020 publié par les Editions Larcier).
Cet auteur reprend dans ses notes en bas de page, la jurisprudence et la doctrine de façon pratiquement exhaustive.
La question que nous allons traiter brièvement dans cet article ne reviendra pas sur ces principes mais sur la destination des montants que le locataire devra payer à titre de dégâts locatifs.
Dans les montants retenus par l’expert, il n’y a pas seulement des vrais dégâts et par conséquent le coût de leur réparation mais également ce qu’on appelle des « moins-values ».
C’est ainsi que si un locataire a abîmé partiellement un parquet, il ne devra pas en payer un nouveau ni une remise en état de toute la pièce.
Le même principe vaut pour les peintures ou pour les traces de crampons ou de gros clous dans les murs.
Un trou de crampon dans un mur sera évalué à X euros par l’expert. Le montant pourra varier si le trou a été rebouché sommairement ou très correctement, s'il est grand ou petit, etc.
Il ne faut pas oublier non plus que le locataire bénéficie d’un amortissement. Il est dorénavant interdit à Bruxelles (nous n’avons pas examiné la situation dans les autres régions) d’obliger le locataire à renouveler les peintures à son départ.
Par conséquent, en ce qui concerne les moins-values notamment, le bailleur n’est nullement obligé d’affecter le montant à recevoir du locataire à titre de dégâts à la rénovation de l’appartement.
Le même principe vaut pour tous les dégâts.
Les législations régionales ont repris des listes précises de travaux à charge ou non du locataire. Les experts doivent évidemment en tenir compte et le font.
Examinons le cas du bailleur qui réclame une indemnité à son locataire pour les dégâts locatifs après fixation de ceux-ci par l’expert ou, éventuellement, par le juge. Il ne devra pas justifier de l’utilisation de l’indemnité reçue, même s’il s’agit pour partie d’une indemnité d’indisponibilité qui finalement ne se réalise pas, les lieux étant reloués à bref délai.
Dans le Tome I du "Manuel Permanent des Baux à Loyer et Commerciaux", il est rappelé que :
« Il est unanimement admis que le bailleur peut disposer des indemnités pour dégâts locatifs comme il l’entend. Le preneur ne pourrait exiger que les indemnités allouées servent à la réparation effective du bien loué. Le bailleur dispose de ces indemnités à son gré ».
L’auteur de l’article cite un jugement du tribunal civil de Liège du 27 octobre 1970 publié à la "Jurisprudence de Liège" 1971-1972, p. 261
Ce manuel, dans sa plus récente version, reprend ce qu’il qualifie d’une certaine doctrine, c’est-à-dire que « Le juge n’a pas à chercher si le bailleur a réellement subi un préjudice, étant donné que l’existence même des dégradations constatées l’établit »
Cet avis a déjà été exposé dans l’ouvrage Les Novelles « Le Louage de Choses : les Baux en Général » chez Larcier, n° 977-629 avec de la jurisprudence à l’appui.
La Cour de cassation n’est pas d’un autre avis.
Pour être complet, deux décisions vont dans un autre sens en recourant à la théorie de l’abus de droit.