Il n’est pas rare de voir un administrateur de société acquérir la nue-propriété d’un bien, la société acquérant l’usufruit.
Acquisition
Le droit de propriété est divisé entre deux personnes : l'une est propriétaire du bien, mais ne peut pas en profiter (le nu-propriétaire), tandis que l'autre en profite sans en être propriétaire (l'usufruitier). Suivant l’article 3.141 du code civil, l'usufruit a une durée maximale de nonante-neuf ans. Il n’y a pas de durée minimum. Dans la pratique, la durée de l’usufruit se situe souvent entre 15 et 20 ans.
L’avantage de ce démembrement de propriété est que la société peut amortir la valeur d’acquisition de l’usufruit, et ce pendant toute la durée de cet usufruit. Elle peut également prendre en charge tous les frais d’entretien (voir point 2). Dans le cas contraire, lorsque la société acquiert la pleine-propriété de l’immeuble, elle ne peut amortir le bien qu’à concurrence de 3% par an et ce pendant 33 ans. En cas de vente de ce bien, la société, pleine propriétaire du bien, sera taxée sur le bénéfice réalisé.
La question de la valorisation de l’usufruit est une question délicate. Pendant de nombreuses années régnait un flou juridique. Le code des impôts sur le revenu ne fixait aucun critère. Un certain nombre de dirigeants d’entreprises valorisaient l’usufruit de manière trop élevée avec le risque que l’administration fiscale considère que la surévaluation était soit un avantage de toute nature dans le chef du dirigeant (article 32 du CIR/92), soit un avantage anormal ou bénévole consenti par la société (article 26 du CIR/92).
Le service des décisions anticipées (service fiscal qui valide ou invalide les opérations fiscales projetées qui lui sont soumises) est intervenu.
Selon cette autorité, il faut :
justifier que l’opération prévue réponde à d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus au sens de l’article 344, § 1, CIR/92 (pour quelle(s) raison(s) autre(s) que fiscale(s), il a été décidé d’opter pour l’acquisition du bien immobilier par la société au moyen d’un droit temporaire d’usufruit) ;
valoriser correctement l’usufruit. A cet égard, La valorisation d’un usufruit temporaire doit être effectuée à sa valeur réelle.
Les méthodes de valorisation forfaitaire utilisées en matière de droits d’enregistrement et de droits de succession ne sont pas appropriées. La valorisation doit être examinée au cas par cas et devra entre autres tenir compte de l’état dans lequel se trouve le bien immeuble, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit (frais de notaire, droits d’enregistrement…), ainsi que de l’affectation effective donnée par la société au bien immobilier (utilisation propre, mise en location, usage intensif, usure, etc.).
Les parties devront présenter un rapport d’expert indépendant (par exemple un agent immobilier, un bureau comptable, une institution financière, un cabinet de révision, etc.). Il conviendra toutefois que ce rapport fasse apparaître dans quelle mesure les éléments précisés ci-dessus ont été pris en compte par l’expert indépendant.
Si la valeur de l’usufruit est déterminée en fonction de la valeur locative nette actualisée du bien immobilier pendant la durée de l’usufruit, il conviendra de s’assurer que le taux d’actualisation employé corresponde à la réalité. Ce taux d’actualisation pourra être déterminé en fonction du rendement locatif net du bien immobilier concerné, en divisant le rendement locatif net annuel par la valeur de la pleine propriété du bien.
Le service des décisions anticipées fournit une illustration qui permet de comprendre cette notion alambiquée.
Valeur locative brute : 18.000 EUR
Valeur locative nette : 15.000 EUR
Valeur de la pleine propriété : 250.000 EUR
Taux d’actualisation à utiliser dans la formule : 6% = [(15.000/250.000) x 100]
Valeur de l’usufruit d’une durée de 20 ans = 172.048,82€ ou 68,82% de la valeur de la pleine propriété = [(15.000/6%) x (1- (1/1,06)20)].
Certains contestent cette formule considérant qu’elle est trop théorique et lui préfèrent au contraire une formule qui tient compte d’un taux d’inflation et d’actualisation réel.
Les parties veilleront, si cela s’avère nécessaire en fonction de l’opération proposée, à apporter tous les éléments utiles de nature à démontrer que l'opération offre une rentabilité comparable dans le chef du nu-propriétaire et de l'usufruitier de manière à confirmer que le nu-propriétaire et l’usufruitier se comportent comme le feraient deux tiers parfaitement indépendants.
Bref, l’objectif est clairement de dissuader les sociétés de réaliser ce genre d’opérations fiscales.
Par ailleurs, il convient de ne pas oublier les droits d’enregistrement de 12,5% (si le bien est situé en Région wallonne ou en Région de Bruxelles-Capitale) ou de 10% (si le bien est situé en Région flamande) applicables à l’acquisition de l’usufruit. En aucun cas il ne peut être assigné à l’usufruit une valeur vénale supérieure aux 4/5ème de la valeur vénale de la pleine propriété.
Appliqué au cas d’espace, les droits d’enregistrement s’élèvent à 172.048,82€ (inférieur à 4/5 de 250.000€) x 12,5%= 21.506,10€. Ce montant est dû par la société.
Détention
La société, usufruitière du bien, peut aménager le bien, percevoir des éventuels loyers, amortir fiscalement l’usufruit et les aménagements effectués ainsi que déduire les charges financières liées à l’acquisition de ce droit de propriété démembré, l’assurance incendie, et doit, en sens inverse, supporter le précompte immobilier et ce conformément à l’article 49 du CIR/92.
Auparavant, le nu-propriétaire était toutefois tenu au payement des grosses réparation comme la réparation de la charpente d'une maison, la réfection d'un mur mitoyen, l’installation ou le renouvellement du chauffage central ou l'installation ou le renouvellement de l'électricité . Dorénavant, le nu-propriétaire qui exécute les grosses réparations peut exiger de l'usufruitier qu'il contribue proportionnellement aux frais de celles-ci. Cette contribution est déterminée en fonction de la valeur du droit d'usufruit par rapport à la valeur de la pleine propriété, suivant une autre évaluation que celle décrite précédemment (article 3.154 du code civil).
En revanche, seront notamment, des réparations d'entretien incombant à l'usufruitier :
les travaux de peinture des murs (même extérieurs), plafonds, portes et fenêtres (à l'exclusion de la première mise en peinture) ;
le vernissage ;
les réparations aux puits ;
les réparations (à l'exclusion du renouvellement) au parquet, au plafond, aux escaliers, au toit, le ramonage et les réparations des cheminées ;
la révision et les travaux à l'ascenseur ou à une pompe à eau ;
le recrépissage, même des gros murs ;
la pose de tapis (à l'exclusion de la première pose).
Le service des décisions anticipées a fixé des guidelines. Ainsi, il énonce qu’un état des lieux du bien immobilier doit être réalisé au moment de la conclusion de la convention d’usufruit.
L’usufruitier et le nu-propriétaire doivent se comporter de manière indépendante par rapport à ces travaux. Ainsi, la société n’entreprendra que les travaux qui représentent un intérêt économique dans son chef et que toute autre société (tierce par rapport au nu-propriétaire) aurait entrepris dans les mêmes circonstances. Plus généralement, la société se comportera comme le ferait tout autre usufruitier tiers vis-à-vis du nu-propriétaire.
L’acquisition scindée usufruit/nue-propriété est dès lors intéressante lorsque des travaux importants sont à envisager. Ce démembrement de propriété ne doit pas être envisagé dans le cas de simples améliorations puisque cela n’a aucune utilité.
Extinction
A l’expiration de la convention, l’administrateur devient plein-propriétaire du bien. L’administrateur n’aura financé que l’acquisition de la nue-propriété. Aucun droit d’enregistrement n’est dû lors de cette opération. Il s’agit du phénomène de l’accession.
Se posera la question de la valorisation des travaux, des éventuelles améliorations et des constructions réalisés par l’usufruitier.
Suivant l’article 3.160 du code civil, le nu-propriétaire doit indemniser l'usufruitier, sur la base de l'enrichissement injustifié, pour les ouvrages et plantations réalisés dans les limites de son droit, sans y être obligé et avec le consentement du nu-propriétaire.
La loi qui a modifié la matière date du 4 février 2020 et est entrée en vigueur le 1er septembre 2021. Nous n’avons pas encore assez de recul pour savoir ce que recouvre l’enrichissement injustifié.
Est-ce le montant nominal des travaux, le montant nominal des travaux augmenté des intérêts, le montant nominal des travaux augmenté des intérêts et d’une indemnisation… ? Seul le temps pourra nous répondre.
Si aucune indemnisation n’est prévue, il y a un risque en effet de taxation soit dans le chef du nu-propriétaire (qui devient plein propriétaire d’un bien remis en état sans qu’il ait supporté la moindre dépense), soit dans le chef de l’usufruitier (il est, en effet, anormal qu’une société ne réclame aucune indemnité vis-à-vis d’un tiers pour les travaux et améliorations qu’elle a financièrement supportés). Les conséquences négatives sur le plan fiscal pourraient venir réduire à néant les économies escomptées de l’opération de démembrement.