Le nouveau Code civil est entré en vigueur le 1er septembre 2021. Parmi les nouveautés et changements, plusieurs concernent l’usufruit, mécanisme très populaire en Belgique. Abordons ensemble quelques questions choisies.
Bref rappel de ce qu’est l’usufruit
Le Code civil ancien
Pas si simple pour le non-juriste de retrouver et comprendre les dispositions relatives à l’usufruit dans l’ancien Code civil, tant elles étaient éparses et presque conservées dans leur état législatif de 1804. L’article 578 ancien du Code civil dispose que « L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d’en conserver la substance ».
Le nouveau Code civil
Depuis le 1er septembre 2021, l’article 3.138 du Code civil nous enseigne que l’usufruit est un droit qui « confère à son titulaire le droit temporaire à l’usage et à la jouissance, de manière prudente et raisonnable, d’un bien appartenant au nu-propriétaire conformément à la destination de ce bien et avec l’obligation de restituer celui-ci à la fin de son droit ». Pas nécessairement plus clair me direz-vous et je ne peux malheureusement pas vous donner tort. Nous constatons que le législateur mentionne immédiatement le caractère temporaire dans la définition même de l’usufruit, ce qui n’était pas le cas avant. En outre, la disposition légale précise davantage les contours du droit : l’usage et la jouissance. Précision importante car dans l’esprit collectif, seule la jouissance est la prérogative de l’usufruitier.
Le nerf de la guerre : les réparations et les charges
Le Code civil ancien
Il n’est pas nécessaire de rappeler que dans l’ancien régime, les grosses réparations sont à charge du nu-propriétaire et que l’usufruitier n’est tenu que des réparations d’entretien. L’absence de définition a parfois amené à une certaine insécurité juridique. C’est au magistrat de déterminer ce qui est une grosse réparation et ce qui ressort de l’entretien. Pour se guider, il peut s’appuyer sur la liste prévue aux articles 605 et 606 du Code civil ancien et sur la jurisprudence qui retient régulièrement le critère des travaux ayant pour objet la solidité générale et la conservation du bâtiment dans son ensemble mais aussi le caractère exceptionnel de ceux-ci.
Le nouveau Code civil
Vous n’aimiez pas les listes fermées ? Le législateur vous offre des catégories. En effet, la réparation d’entretien est désormais visée à l’article 3.153 du Code civil nouveau : « L'usufruitier est tenu d'exécuter, à l'égard du bien, les réparations d'entretien nécessaires, à court ou à long terme, pour préserver la valeur du bien, sous réserve de l'usure normale, de la vétusté ou d'un cas de force majeure. » Le législateur introduit désormais le caractère nécessaire des réparations, à long ou court terme pour préserver la valeur du bien. Nous percevons rapidement cette précision voire nuance dans le nouveau régime : l’usufruitier n’est désormais plus tenu que d’entretenir le bien pour en conserver la valeur. Il n’est donc clairement plus responsable de veiller à pallier l’usure normale du bien.
Du côté des grosses réparations, le texte nouveau nous enseigne à l’article 3.154 que :
« § 1er. Les grosses réparations sont celles qui portent sur la structure du bien ou de ses composantes inhérentes ou dont le coût excède manifestement les fruits du bien.
§ 2. Le nu-propriétaire doit exécuter ces réparations après concertation avec l'usufruitier. Ce dernier ne peut prétendre à une indemnité pour trouble de jouissance.
§3 (…)
D’une part, le premier paragraphe confirme que pour considérer qu’il s’agit d’une grosse réparation, l’aspect financier seul ne suffit pas. Il ne s’agit donc pas de soutenir que si c’est couteux, cela doit être pris en charge par le nu-propriétaire. Le législateur impose que le coût excède manifestement (il insiste) les fruits du bien. D’autre part, une précision importante a été intégrée dans la loi : l’obligation de se concerter avec l’usufruitier. Il faudra donc désormais parvenir à s’entendre, et ce, avant de commencer les travaux.
La nouveauté : l’intervention de l’usufruitier dans les grosses réparations
L’article 3.154 du Code civil précise au sujet des grosses réparations mises à charge du nu-propriétaire :
§ 3. "Le nu-propriétaire qui exécute les grosses réparations peut exiger de l'usufruitier qu'il contribue proportionnellement aux frais de celles-ci. Cette contribution est déterminée en fonction de la valeur du droit d'usufruit par rapport à la valeur de la pleine propriété, calculées conformément à l'article 745sexies, § 3, de l'ancien Code civil. "
Cette disposition modifie radicalement le rapport entre usufruitier et nu-propriétaire. Avant la réforme, le nu-propriétaire devait prendre en charge la totalité des grosses réparations. De nombreux litiges naissaient sur le caractère nécessaire ou non des grosses réparations ainsi que sur la qualification de grosses réparations ou non. Toutefois, dans l’ancien régime, le décideur (nu-propriétaire) était le payeur.
Désormais, si le nu-propriétaire entreprend des grosses réparations, il pourra réclamer une contribution à l’usufruitier.
Cette contribution est calculée sur base de la valeur de l’usufruit. Illustration : Madame DUPONT est usufruitière d’un immeuble évalué à 200.000 €. Elle a 67 ans. Selon les tables de conversion publiées chaque année au Moniteur belge, son usufruit est évalué en mars 2022 à 19,01 %. Cela signifie que virtuellement, elle a 19 % de la valeur de l’immeuble. Si le nu-propriétaire entreprend des travaux à la toiture pour 50.000 €, Madame DUPONT devra prendre en charge 19% de 50.000 € soit : 9.500 €.
Il s’agit là d’un changement majeur dans la dynamique de la prise en charge des frais de grosses réparations. Nous comprenons mieux le souci du législateur d’ajouter l’obligation de concertation entre les parties avant d’entamer des grosses réparations puisque désormais, il y a deux payeurs (et donc deux décideurs).
Conclusions
L’usufruit est un mécanisme répandu en Belgique, notamment par l’application du mécanisme légal de l’usufruit du conjoint survivant. Les nouvelles dispositions mettent ce concept juridique au goût du jour et insèrent également des notions plus modernes et plus évolutives. L’effort de clarification peut être salué mais d’immanquables discussions sont à craindre au sujet de l’opportunité de réaliser des travaux et la prise en charge des frais et réparations. En définitive, le dernier mot reviendra probablement au magistrat.