Nous reproduisons ci-après les questions posées à la Secrétaire d’Etat au Logement de la Région de Bruxelles-Capitale et sa réponse qui, sous le couvert de la mise en place d’un moratoire hivernal pour les logements publics et privés, annoncent la réduction des possibilités pour les bailleurs de récupérer leurs biens.
Cette lecture pourrait apparaître un peu longue à certains mais il est temps que les bailleurs sachent comment on parle d’eux au Parlement bruxellois.
Les questions
Mme Françoise De Smedt (PTB) Dans le plan d’urgence logement (PUL) et dans votre note d’orientation, vous mentionnez qu’un moratoire hivernal pour tous les logements publics sera mis en place, à l’instar de ce qui se fait déjà dans les logements sociaux, et qu’un moratoire hivernal pour les logements privés sera examiné.
La situation est alarmante : les CPAS sont débordés, les centres d'hébergement sont pleins et le nombre de sans-abri est en augmentation constante à Bruxelles, comme nous pouvons le constater en prenant les transports en commun. En outre, de plus en plus de personnes éprouvent des difficultés financières à cause de l'augmentation des prix de l’énergie, de l’eau, des carburants, des matières premières, à laquelle s'ajoute une hausse de l’indexation des loyers. Beaucoup de familles ne parviennent plus à joindre les deux bouts et doivent choisir entre payer leur loyer, se nourrir et consulter leur médecin.
Étant donné que 90 % des expulsions sont motivées par un arriéré de loyers, il est temps d’agir sur cette problématique. Le gouvernement bruxellois doit s'empresser de faire baisser réellement les loyers et de construire suffisamment de logements sociaux.
Il faut également avancer dans l'élaboration d'un nouveau système général de protection contre les expulsions locatives. Il est temps de garantir le droit au logement et à la dignité humaine. L'expulsion d'un logement ne constitue jamais une solution. C'est une procédure violente qui ne résout en rien la situation des familles concernées, bien au contraire.
Qu’avez-vous prévu pour étendre le moratoire hivernal à tous les logements publics ? Selon quelles modalités et pour quelle échéance ?
Une étude a-t-elle été réalisée en vue de la mise en place de ce moratoire hivernal pour les logements privés ? Si oui, qui est en charge de cette étude ? Quels secteurs ont-ils été consultés ? Quelles en sont les conclusions ? Quand sera-t-il mis en place ? Si non, quand cette étude sera-t-elle diligentée et par qui ?
Quelles sont les avancées réalisées dans la mise en place du monitoring des expulsions annoncé dans le PUL ? En quoi empêchera-t-il les expulsions ?
Mme Nadia El Yousfi (PS) Le maintien des nombreuses familles exposées au risque d'une expulsion relève d'une priorité collective et politique à laquelle je sais que vous tenez fermement, Mme la secrétaire d'État. Comme rappelé dans la demande d'explications ainsi que dans le PUL, près de 90 % des expulsions ont pour motif un arriéré de loyer. Une expulsion coûte par ailleurs beaucoup plus cher à la collectivité que quelques mois de prise en charge d'un loyer.
Afin d'élargir le débat, nous souhaiterions rapidement évoquer l'histoire d'un homme. En octobre 2018, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a été saisi d'une plainte à l'encontre de la Région bruxelloise pour violation du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. L'un des articles de ce texte garantit le droit à un logement suffisant, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Cet article prévoit par ailleurs que les États prendront les mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit.
L'homme dont je souhaite vous parler est un plaignant bruxellois âgé de 72 ans qui a porté son affaire devant les Nations unies. Bénéficiaire de la garantie de revenus aux personnes âgées et locataire d'un logement privé depuis 24 ans, il a reçu, en 2007, un congé sans aucun motif mais avec une indemnité de six mois, conformément à la législation alors en vigueur.
La loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux à loyer dispose ceci : "À l'expiration du premier et du deuxième triennats, le bailleur peut mettre fin au bail, en donnant congé six mois à l'avance, sans motifs, mais moyennant le versement d'une indemnité". Toute indemnité est équivalente à neuf ou six mois, selon que le contrat prend fin à l'expiration du premier ou du deuxième triennat.
Cette disposition a été reprise dans son intégralité à l'article 237 du Code bruxellois du logement. En Belgique, un propriétaire peut donc, sans devoir le justifier, mettre fin au bail de son locataire moyennant trois conditions : qu'il s'agisse d'un moment précis dans le bail, que le locataire bénéficie de six mois de délai pour partir et qu'une indemnité de compensation lui soit payée.
Dans ce cas-ci, les trois conditions ont été respectées. Toutefois, le plaignant estimait que l’État belge - et par conséquent la Région -, en permettant au bailleur de rompre sans aucun motif un contrat de bail avec la conséquence qu'il puisse être procédé à l'expulsion forcée d’un locataire qui a toujours respecté ses obligations, a agi en violation de l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, garantissant le droit au logement.
En clair, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels oblige la Belgique à suspendre l'expulsion du locataire, faute de lui avoir trouvé et fourni un logement de substitution, qu'il soit social ou pas, et qui réponde à des critères similaires à ceux de son appartement actuel.
Vous connaissez mes convictions dans ce domaine et je dois reconnaître que je comprends ce Bruxellois : imaginez-vous, après 24 années d'occupation, vous faire expulser à l'âge de 72 ans, sans aucune solution de relogement ni raison valable. C'est plus qu'interpellant.
Nous ne parlons pas ici de la situation d'un locataire défaillant, ni de personnes qui n'auraient pas payé leur loyer ou n’entretiendraient pas le bien en bon père de famille, ni même de la situation de propriétaires qui souhaiteraient occuper le bien ou le faire occuper par un membre de leur famille, mais bien d’une situation où tout allait pour le mieux. À Bruxelles, il est donc possible de se faire expulser impunément et sans aucune justification de son logement après 24 ans d'occupation.
Plus de trois ans après l'introduction de cette plainte, pouvez-vous nous informer de la procédure en cours et des suites que vous comptez y donner ?
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a-t-il émis des recommandations sur la législation belge en vigueur sur la résiliation de baux sans motif ? Si oui, les avez-vous incorporées dans vos travaux et projets d'ordonnance ?
Mme Zoé Genot (Ecolo) Outre la situation de cette personne âgée expulsée sans motif à Etterbeek, nous sommes confrontés à des expulsions de personnes qui ont rencontré des difficultés dans la vie et n'ont pas pu payer un certain nombre de loyers. Ces situations en particulier m'inquiètent. Je suis tout à fait d'accord avec l'intervention précédente de Mme El Yousfi. Une expulsion coûte cher, socialement, humainement et financièrement. La personne expulsée a besoin d'aide pour retrouver un logement ou d'encadrement si elle est à la rue.
Je souhaite insister pour que nous continuions à réfléchir à un fonds pour les impayés, offrant la possibilité au juge de résoudre des situations de loyers impayés d'un, deux ou trois mois. Cela permettrait aux personnes de garder leur logement. Cette possibilité de recours a été envisagée dans les discussions budgétaires, mais est à présent passée au second plan. Or, cette proposition est, à mes yeux, aussi centrale que le moratoire hivernal.
En France, ce dernier n'a malheureusement pas permis de solutionner toutes les situations. Dans le logement social, où le moratoire hivernal est d'application, les expulsions engendrent de véritables drames sociaux.
La réponse
Mme Nawal Ben Hamou, secrétaire d'État Comme annoncé en réponse à une question de Mme Genot du 20 janvier 2022, je déposerai, à la fin du mois de février, un avant-projet d'ordonnance relatif aux sorties de logement. Il doit encore être discuté au sein du gouvernement.
Je souhaite néanmoins vous rappeler qu’un monitoring est un outil chiffré qui vise à orienter les politiques régionales en matière d'expulsions et à mieux cibler nos actions sur les publics les plus vulnérables.
Les propositions contenues dans cet avant-projet d'ordonnance résultent d'une étude réalisée par l'Université Saint-Louis - Bruxelles, dont le rapport m'est parvenu en juillet 2021. J’espère que le texte, qui doit faire l'objet de trois lectures au gouvernement et d'une adoption par le parlement, pourra entrer en vigueur en 2023.
Quant au fonds évoqué par Mme Genot, nous le mettrons en place comme convenu dans le PUL. Il fait actuellement l'objet de discussions avec mes collègues du gouvernement.
Pour ce qui est de la plainte à l'encontre de la Région introduite auprès du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CESCR), cette triste affaire illustre la difficulté de concrétiser le droit au logement pour les personnes les plus vulnérables, dont font partie les personnes âgées, comme le plaignant que vous citez. La problématique concerne également les familles monoparentales, les personnes touchant un revenu de remplacement ou les personnes d'origine étrangère ou en situation de handicap. Comme je l'ai déjà annoncé à plusieurs reprises, j'ai lancé, en octobre 2020, une étude sur la concrétisation du droit au logement sous l'angle de la pauvreté. L'Université Saint-Louis - Bruxelles m'a remis son rapport en juillet 2021. Bruxelles Logement, en concertation avec mon cabinet, travaille actuellement à la mise en oeuvre des recommandations formulées dans ce rapport. L'avant-projet d'ordonnance visant à éviter les sorties de logement constitue le premier chantier. Le second traitera spécifiquement des modifications de l'ordonnance relative au bail.
Ces deux chantiers seront l'occasion de corriger les lacunes de la législation actuelle, afin de prendre en considération les situations de vulnérabilité particulières et répondre aux recommandations que nous a adressées le CESCR le 12 octobre 2021 à l'occasion de cette affaire.
Le CESCR préconise que la Région :
revoie la législation actuelle, qui permet au bailleur de résilier le bail sans motif, afin d'éviter un impact disproportionné sur le droit à un logement des personnes défavorisées ;
évalue régulièrement la législation qui permet au bailleur de résilier le bail sans motif, et introduise, si nécessaire, des ajustements pour protéger le droit au logement ;
prenne les mesures nécessaires, au maximum des ressources disponibles, pour que les groupes défavorisés, tels que les personnes âgées en situation socioéconomique vulnérable, qui sont expulsés de leur logement, aient accès à d'autres solutions de logement qui répondent à leurs besoins particuliers et leur assurent la stabilité et la sécurité correspondant à leur âge et à leur situation. Cette dernière recommandation est traduite dans l'avant-projet d'ordonnance, que je déposerai à la fin du mois, visant à éviter les sorties de logement.