Par le présent article, nous continuons à aborder les questions que pose le recouvrement des charges impayées. Dans le CRI d'octobre 2020, trois questions distinctes furent abordées. Nous traiterons ici d'autres questions que nous ont posées les praticiens.
1. N'est-il pas regrettable que le privilège de charges de Copropriété
porte sur une période limitée ?
Il est exact que, quand bien même l'octroi de ce privilège est une avancée, il peut être regretté qu'il ne porte pas sur une période plus longue.
La Revue Copropriété et Droits Immobiliers (juillet 2020 : article de Maître Eric RIQUIER) énumère les trois difficultés que pose l'application de ce privilège.
a. Celui de bien vérifier (travail du syndic) que le projet d'acte d'ordre rédigé par le notaire chargé de la vente du bien du copropriétaire défaillant place la créance de la Copropriété « en bon ordre », c'est-à-dire avant les banques.
b. Celui de la détermination de l'importance de la créance privilégiée (quantum).
c. Celui de la détermination du moment de la vente.
C'est essentiellement les deux derniers points qui posent question.
En effet, comme précisé dans cet article,
« Le montant précis et définitif des charges de l'exercice en cours (le privilège étant pour l'exercice de l'année antérieure et l'exercice en cours) ne sera généralement connu que lors de la clôture de cet exercice, c'est à-dire souvent un à trois mois après qu'il soit terminé... c'est d'ailleurs, considère-t-on généralement, le procès-verbal de l'Assemblée Générale qui approuve les comptes qui constitue le titre de la créance.
En cas de contestation, le montant privilégié ne pourra donc être tenu pour définitivement fixé que lors de l'approbation des comptes, voire bien plus tard – peut-être des années – en cas de recours contre cette approbation ».
En résumé, la difficulté provient de ce que la rédaction du procès-verbal d'ordre doit tenir compte des charges échues jusqu'au jour du décompte de clôture final et les charges à comptabiliser ne sont pas nécessairement définitivement arrêtées au jour de la vente puisque, entre ce jour de vente et celui du décompte final, un délai assez long peut exister.
Il est donc conseillé au notaire d'être prudent et de ne pas libérer trop tôt aux créanciers la totalité de la somme résultant de la vente.
Une provision devrait être constituée dans l'attente de la réception du décompte final des charges ne pouvant plus être soumis à contestation.
Il existe aussi un autre problème lié à la fixation du jour de vente, surtout lorsque celui‐ci est en début d'année.
Nous reprendrons l'exemple repris dans l'article précité.
Supposons un appartement dont les charges, linéaires pour l'exemple, s'élèvent à 1.000,00 € par mois, soit 12.000,00 € par an.
Supposons alors que le copropriétaire ne paie plus ses charges depuis maintenant plus de deux ans ; la copropriété se saisit de l'appartement à charge de son propriétaire et poursuit la vente forcée.
Supposons aussi que cet appartement est le seul bien saisissable du débiteur.
Si la vente publique a lieu le 31 décembre 2019, la Copropriété sera privilégiée pour les deux années 2018 et 2019, à concurrence de 24.000,00 € mais si la vente a lieu le 1er janvier 2020, les années privilégiées sont les suivantes : 2019 à concurrence de 12.000,00 € et 2020 à concurrence de 1.000,00 €.
Bref, tout retard dans la mise en vente avec, de surcroît, fixation en début d'année, se paie « cash »...
ATTENTION à la responsabilité du syndic dans le suivi des dossiers car il faut bien naturellement veiller à ce que le privilège aie l'assiette la plus large.
Il est aussi rappelé dans cet article de synthèse le danger que pourrait représenter, pour l'acquéreur, une vente de gré à gré (contrairement à une vente sur exécution forcée qui entraîne nécessairement la disparition du droit de suite du créancier, c'est-à-dire le droit de poursuivre sans avoir égard à l'identité de celui poursuivi).
En effet, si, au moment d'une vente de gré à gré, il y a absence de désintéressement de l'Association des copropriétaires, créancier privilégié, l'Association des Copropriétaires, puisque la vente n'est pas «purgeante » pourrait ultérieurement faire pression auprès de l'acquéreur en exigeant de lui le paiement des charges du vendeur et en relevant qu'il pourrait faire vendre le bien, objet du privilège, si la dette n'est pas acquittée ?
2. Si le copropriétaire défaillant est une Société qui tombe en faillite, qu'en est-il des charges impayées entre le jugement déclaratif de faillite et le jour où est dressé le décompte de clôture final ?
Il importera alors au syndic de présenter au notaire et au curateur un décompte en n'omettant pas de prendre en considération d'une part, ce qui est effectivement privilégié et, d'autre part, ce qui, ne pouvant l'être, est considéré comme dette de la masse.
> Si ces charges sont antérieures au jugement déclaratif de faillite, la récupération sera très aléatoire.
En effet, la créance de la Copropriété sera chirographaire, c'est-à-dire ne disposant d'aucune priorité, sauf pour la part de la créance soumise au privilège portant sur l'exercice antérieur et l'exercice en cours.
La Copropriété, pour cette part chirographaire, devra dès lors subir la loi du concours avec les autres créanciers chirographaires.
> Si ces charges sont postérieures au jugement déclaratif de faillite et antérieures à la vente du bien par le curateur, elles seront considérées comme dettes de masse.
Les dettes de masse sont celles résultant « d'actes » effectués par le curateur dans les limites de sa mission en vue de la réalisation des actifs.
Elles ne subiront plus la loi du concours et devront être acquittées avant toute distribution du prix de vente du bien.
Ces dettes sont donc à charge de la masse faillie, même en l'absence de participation « active » du curateur.
Ce principe a été précisé par la Cour de Cassation dans ses Arrêts du 16.06.1988 et 07.03.2002.
Ainsi, la masse représentée par le curateur a intérêt à se presser pour la réalisation du bien.
Il n'est parfois pas inutile que le syndic rappelle au curateur l'intérêt pour tous à ne pas traîner pour la vente du bien.
3. Vous faites état d'une possible responsabilité du syndic qui n'agirait pas rapidement pour recouvrer des charges impayées. Pourriez-vous être plus précis ?
Avant tout autre développement, relevons qu'il est considéré que le syndic, sans devoir recevoir un mandat pour ce, peut assigner le copropriétaire défaillant.
Il n'a donc pas besoin de se faire couvrir par une Assemblée Générale.
Son pouvoir pour cette initiative procédurale, il le tient de l'article 577/8 §4, 4° et6°.
Ainsi que déjà précisé, le privilège pour les frais de Copropriété est limité dans le temps.
Si, avant une action judiciaire entreprise susceptible de déboucher, dans le cadre de l'exécution du jugement obtenu, sur une vente du bien, un arriéré non couvert par le privilège s'est accumulé pendant de nombreuses années, il pourrait être alors soutenu que cet arriéré irrécouvrable est la résultante de l'inertie du syndic.
Il n'est pas exclu que le syndic, surtout dans les petites Copropriétés gérées par des non professionnels, fournisse alors la réponse suivante :
« Il ne m'était pas possible alors d'agir judiciairement et de mandater un avocat puis un huissier, les finances de la Copropriété ne le permettant pas ».
Est-ce une cause de justification suffisante qui permette au syndic d'éluder toute responsabilité ?
Une telle réponse du syndic mis en cause ne nous apparaît pas satisfaisante.
Nous invitons donc les syndics, dans des cas semblables, d'écrire à chaque copropriétaire ce qui suit :
« Vu le non-paiement de charges justifiant une action judiciaire et vu l'absence d'effet de ma lettre de mise en demeure envoyée au copropriétaire défaillant, je dois, à regret, l'assigner en justice.
Mais cette voie, pour suivre cette procédure, requiert, vu les finances actuelles de la Copropriété, un apport d'une somme de... à répartir selon vos quotités (un calcul doit alors être effectué).
La procédure doit être diligentée à bref délai pour permettre à l'A.C.P. de bénéficier du privilège légal.
Je ne pourrai être tenu responsable du retard dans le recouvrement qui aurait pour conséquence la perte de ce privilège sur une partie des charges impayées si la demande d'apport formulée par la présente lettre n'est pas satisfaite dans un délai de quinzaine ».
Ainsi, cet avertissement officiel ne nous apparaît pas permettre la mise en cause ultérieure du syndic qui ne peut bien naturellement financer sur ses deniers une procédure à mener.
4. Le syndic peut-il divulguer à tous le nom des copropriétaires défaillants ?
Nous avions relevé antérieurement que la défaillance dans le paiement des charges d'un ou plusieurs copropriétaires contraignait souvent les autres, dans l'attente de la récupération à intervenir, à jouer le rôle de banquier.
Ils devront en effet, vraisemblablement, à tout le moins pendant un certain temps, financer un déficit.
D'aucuns diront alors qu'il est naturel que la Copropriété connaisse le nom des défaillants.
Un banquier ne connaît-il pas l'identité de celui qu'il finance ?
Cette question ne se pose pas pour les membres du Conseil de Copropriété.
En effet, selon l'article 5778/1 §4,
« le Conseil de Copropriété peut prendre connaissance et copie, après en avoir avisé le syndic, de toute pièce ou document se rapportant à la gestion de ce dernier ou intéressant la Copropriété ».
Aussi, dans le cadre de sa mission de surveillance et par la connaissance des documents consultés, il identifiera rapidement le mauvais payeur.
Il en est de même du Commissaire aux Comptes qui, selon l'article 577-8/2
« contrôle les comptes de l'Association des Copropriétaires ».
Mais qu'en est-il des autres copropriétaires ?
Tant le Conseil de Copropriété que le Commissaire aux Comptes sont appelés à faire rapport à l'A.G.
En ce qui concerne le Conseil de Copropriété, il est même précisé en cet article 577-8/1 §4 :
« Lors de l'Assemblée Générale Ordinaire, le Conseil de Copropriété adresse aux copropriétaires un rapport annuel circonstancié sur l'exercice de sa mission ».
Un rapport circonstancié ne doit-il pas reprendre ce qui peut être la cause des difficultés de trésorerie de la Copropriété et donc le nom des défaillants ?
L'Assemblée Générale les identifiera donc.
Et si ce renseignement n'est pas spontanément communiqué, il serait aisé pour un copropriétaire désirant être éclairé de se rendre chez le syndic qui, selon l'article 577-8 §4, 11°, doit « permettre aux copropriétaires d'avoir accès à tous les documents ou informations à caractère non privé relatifs à la Copropriété, de toutes les manières définies dans le Règlement d'Ordre Intérieur ou par l'Assemblée Générale ».
L'identité des mauvais payeurs est manifestement une information relative à la copropriété.
Mais il nous semble important de mettre des balises dans cette divulgation que les textes légaux apparaissent permettre.
Le syndic doit avoir un rôle de modérateur.
Dans un article précédent, nous avions déjà insisté sur l'ensemble des qualités que doit posséder celui-ci.
Une de celles-ci, et non des moindres, est celle de la modération et de l'influence positive qu'il doit avoir sur les autres organes de la Copropriété.
Ainsi, dans le cadre des difficultés financières d'un copropriétaire, pour autant qu'elles soient passagères et ne mettent pas en péril la Copropriété, ne peut-il pas inciter le Conseil de Copropriété et le Commissaire aux Comptes à une certaine discrétion, surtout s'il a pu préalablement, après un contact personnel avec le défaillant, recueillir certaines informations qui lui ont légitimement fait penser que ce retard est passager.
Il y a lieu de respecter le principe de finalité (réaffirmée par le RGPD en son article 5,1b) :
« Les données à caractère personnel doivent être collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d'une manière incompatible avec ces finalités ».
Aussi, en tout état de cause, on ne pourrait concevoir que l'état de « mauvais payeur » d'un copropriétaire ne soit divulgué en dehors des organes de l'Association des Copropriétaires.
Si un membre du Conseil de Copropriété, d'un Commissaire aux Comptes ou d'un membre de l'Assemblée Générale venait à divulguer cette information en dehors des organes prévus par la loi sur la Copropriété, il commettrait incontestablement une faute susceptible de générer des poursuites.
Et rappelons aussi, que, même au sein des organes de la Copropriété, il convient que la personne susceptible d'être reprise dans un rapport comme « mauvais payeur » puisse être avertie, ce qui permet ainsi à la personne concernée de contrôler l'usage de ses données.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir cerné toutes les difficultés liées au recouvrement des charges de copropriété.
Aussi, nous organisons un webinaire pour nos membres en lien avec les trois articles rédigés sur cette matière dans « Le cri » de octobre, novembre et décembre. (voir encadré ci-contre) D'autres questions concernant le Droit de la copropriété pourront également être abordées lors de ce webinaire.