Les grilles indicatives sont apparues il y a quelques années en Région wallonne et Région bruxelloise. Différentes sur de nombreux points, elles représentent néanmoins une menace commune, celle de devenir contraignantes ! C’est en tout cas l’objectif de certains qui ne cachent pas vouloir les utiliser pour contraindre les propriétaires et réguler ainsi le marché locatif.
Le SNPC tient d’abord à rappeler que le principe de grilles indicatives ne le dérange pas car il est normal que bailleurs et locataires puissent se référer à un outil qui indique le loyer moyen d’un logement sur le marché locatif.
Après avoir étudié les deux outils de calcul des loyers, il faut saluer l’intérêt de ceux-ci, chacun avec ses forces et faiblesses sur lesquelles nous allons revenir. Si l’outil wallon s’est considérablement complexifié, tous deux délivrent un résultat clair.
Il nous a semblé cependant que l’écart entre les loyers réels et les loyers indicatifs (supposés représentatifs du marché) s’est creusé au fil des modifications apportées aux grilles. Nous avons donc sollicité nos membres pour le vérifier et avons analysé ces grilles au regard des chiffres de nos deux enquêtes, la première de 2019 et la seconde, très récente, de 2023.
2 enquêtes menées auprès de nos membres en 2019 et 2023
En 2019, le SNPC avait sondé ses membres pour comparer les loyers réellement appliqués à celui des grilles wallonnes et bruxelloises. Nous avions ainsi reçu les comparaisons pour 478 logements mis en location (149 pour la Wallonie et 329 pour Bruxelles).
En juillet et août dernier, un nouvel appel nous a permis de collecter de nouvelles données. Ainsi, nos membres nous ont communiqué les informations concernant 715 logements mis en location (290 en Wallonie et 425 à Bruxelles).
Ce nouvel exercice effectué par nos membres nous permet, 4 ans plus tard, d’analyser l’évolution des grilles.
Forces et faiblesse des outils
Calculateur wallon www.loyerswallonie.be
Avantage à l’outil wallon en ce qui concerne la précision du calcul. Si celui-ci est un peu plus fastidieux à remplir, il permet d’avoir un bien mieux défini …et donc mieux évalué. Contrairement au calculateur bruxellois, il tient compte de la présence ou non d’un jardin privatif, d’une terrasse, d’un balcon, d’une cuisine équipée, d’un parquet, d’une piscine, d’un feu ouvert, etc.
Reste qu’il ne tient pas compte d’un espace de parking (hors garage) ou de la présence d’un ascenseur pour ne prendre que deux exemples qui influencent considérablement la valeur locative.
Gros point faible de l’outil wallon : l’attractivité est définie par code postal ! Or, on peut constater des loyers très différents en fonction de la situation du bien sur un même code postal.
Prenons l’exemple d’une commune qui ne m’est pas inconnue : Visé (4600).
Les points d’attractivité et de mobilité (qui influencent le loyer recommandé) sont identiques selon que le bien se situe Place Reine Astrid, en plein centre-ville (à moins de 200 mètres de la gare, des commerces, des écoles et de l’autoroute) ou à Petit-Lanaye, rue Collinet, même code postal mais à l’extrémité nord de la commune … et à 9 kilomètres de tous ces services.
Notre enquête confirme d’ailleurs l’importance de ce facteur puisque 73% des loyers des logements situés en dehors du centre-ville sont inférieurs au loyer indicatif alors que ce chiffre tombe à 46% pour les logements situés dans les centres urbains.
Il n’est évidemment pas acceptable que des bailleurs se voient reprochés un loyer prétendument « abusif » pour un bien de grande valeur offrant de nombreux services.
Notons au passage que l’attractivité de Visé (4600) a reculé d’un point entre 2019 et 2023. Il serait intéressant de savoir ce qui a motivé ce recul et de savoir le nombre de communes concernées. Cela diminue en tout cas le loyer indicatif de la grille sans aucune justification.
Calculateur bruxellois www.loyers.brussels
Commençons par un point fort du calculateur bruxellois. Contrairement à l’outil wallon, on peut se réjouir d’un calcul par quartier. Notons toutefois que cette plus grande précision ne règle pas tout. En effet, un logement peut donner par exemple sur les voies de chemin de fer menant à la gare du midi alors qu’un autre logement de l’autre côté d’un même « pâté de maison » - supposons-les identiques – peut donner sur un parc. Il est évident que la valeur locative de l’un et de l’autre ne sera pas égale contrairement à ce qu’indiquera la grille.
Autre avantage de l’outil bruxellois, sa simplicité. Le nombre d’étapes et les choix d’options sont tout à fait réduits. Cela a bien évidemment ses limites : choix réduit à deux périodes pour l’âge du logement, pas de choix concernant l’étage d’un immeuble, impossibilité de préciser la présence de terrasse, parquet, cuisine équipée, feu ouvert, place de stationnement privative, d’une deuxième salle de bain, d’un second WC, etc.
Autant de lacunes qui rendent l’estimation d’un loyer plus qu’hasardeuse !
Résultats de notre enquête sur les grilles indicatives
Il est utile pour commencer, de préciser que, compte-tenu de l’échantillonnage, notre enquête n’a pas de valeur scientifique et n’en a pas la prétention. Le nombre de logements évalués (290 en Wallonie et 425 à Bruxelles) permet néanmoins une photo assez représentative du marché locatif et je remercie les nombreuses personnes qui y ont pris part.
Résultats en Wallonie
Pour analyser les résultats, il est important de bien comprendre l’outil et son résultat. Ainsi le calculateur propose in fine le loyer indicatif du bien estimé. Il donne également une marge inférieure et une marge supérieure avec des écarts de 10%. Pour être considéré comme abusif (vers le haut ou vers le bas), le loyer doit être en dehors de ces marges. (voir image « grille wallonne »)
En 2019, notre enquête nous amenait à conclure que « le marché locatif a été correctement évalué, sans exagération à la baisse ». En effet, 53% des bailleurs louaient leur bien dans les marges proposées par le calculateur (24% dans la marge haute et 29% dans la marge basse) et si 18% des bailleurs demandaient un loyer qui dépassait les marges proposées par le calculateur, on pouvait surtout noter que 29% appliquaient un loyer inférieur.
En 2023, on constate un écart qui se crée entre les loyers appliqués et la grille indicative. Si on compte toujours 53% de loyers dans les marges de la grille indicative, c’est désormais 29% de bailleurs qui dépassent la grille et 19% seulement qui appliquent un loyer inférieur aux marges.
Si on considère qu’une partie des bailleurs n’indexe pas les loyers et qu’une autre partie (25% selon notre enquête) ne dispose pas d’un PEB permettant l’indexation en 2023, on peut s’étonner de cette différence. Elle est d’autant plus étonnante que la grille indicative, elle aussi, doit être indexée !
On peut s’interroger sur cette grille qui semble désormais tirer les loyers à la baisse. Nous avons constaté (voir plus haut) que la cote d’attractivité a été revue à la baisse pour certaines communes. Le gouvernement a-t-il modifié d’autres paramètres pour tirer des loyers vers le bas ? En la matière, on ne peut en tout cas pas saluer la transparence.
Résultats à Bruxelles
Au niveau Bruxellois, si l’outil n’a pas évolué dans les choix en options depuis 2019, il propose désormais, comme en Wallonie, un loyer de référence avec une fourchette définie par une marge haute et une marge basse. Auparavant, l’outil ne proposait que cette fourchette sans préciser le loyer indicatif.
Nous avons donc adapté les résultats de 2019 en divisant en 3 parties également les loyers qui se trouvaient « dans les marges » sans autre précision. Connaissant les loyers appliqués, nous les avons répartis en 3 catégories pour une meilleure analyse de l’évolution.
Pour rappel, le constat en 2019 était sans appel, si les loyers proposés par l’outil wallon correspondaient au marché locatif réel, l’outil bruxellois ne correspondait pas au marché et sous évaluait les loyers.
Comme en Wallonie, réaliser un graphique de ce type avec les chiffres repris dans le tableau qui suit.
Sans surprise, le constat est le même aujourd’hui et les évolutions apportées à la grille bruxelloise n’ont fait que creuser l’écart entre le marché locatif et les loyers proposés par la grille.
Conséquences du non-respect de la grille par les bailleurs
En Wallonie
En Région wallonne, pour bénéficier des primes, un bailleur doit respecter la grille des loyers pendant une durée minimale de cinq ans.
A Bruxelles
Pour ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, la grille indicative sera un outil déterminant pour le travail des commissions paritaires locatives que le gouvernement compte mettre en place.
En effet, si le loyer demandé est supérieur de 20% par rapport au loyer de référence, il sera présumé abusif. Le locataire pourra alors introduire une demande auprès d’une commission paritaire et il reviendra au bailleur de justifier le dépassement.
Précisons que l’avis des commissions partitaires locatives ne sera pas contraignant. Il appartiendra toujours à un juge de paix de trancher tout litige locatif.
Conclusion
Au vu de l’évolution constatée entre nos deux enquêtes de 2019 et 2023, il ne fait aucun doute que ces grilles ont pour vocation de tirer les loyers vers le bas. L’objectif annoncé était d’indiquer un loyer correspondant au marché locatif. Ce n’est pas le cas et l’écart se creuse d’ailleurs.
Avant de modifier les règles et d’en venir à des grilles contraignantes s’ils souhaitent céder aux sirènes de certains, les Gouvernements régionaux devront bien réfléchir. Les risques sont pluriels.
Premièrement, les grilles indicatives ne sont pas à sens unique. Elles doivent s’apprécier dans les deux sens. Si on doit considérer qu’elles donnent le loyer juste, alors, il faudra également inviter les bailleurs qui louent en-dessous du prix indicatif (8% à Bruxelles et …19% en Wallonie !) à augmenter leur loyer, ce qui ne sera pas de nature à apaiser le marché locatif et à renforcer l’offre à prix moindre.
Le loyer juste est celui qui doit permettre au bailleur de pouvoir faire face à l’ensemble des dépenses liées à son bien et d’en tirer un revenu complémentaire raisonnable. En d’autres termes, louer en deça n’est pas normal et il n’appartient pas aux gouvernements de reporter sur les propriétaires privés leur politique de logements publics.
Deuxièmement, les bailleurs qui veillent à proposer des logements impeccables, entretenus et régulièrement rafraîchis risquent bien de désinvestir leur logement. Pourquoi, par exemple, rafraichir plafonnage et peinture et y intégrer un éclairage LED économe quand un vieux plafond avec une ampoule pendante donne le même loyer de référence ?
A défaut de pouvoir reporter leurs investissements sur le loyer, les propriétaires s’en tiendront aux uniques critères pris en considération dans les grilles ou feront d’autres choix de type de location comme AIRBNB. Dans un cas comme dans l’autre, cela provoquera très rapidement une baisse de qualité de l’offre locative.
Enfin, comme on l’a connu dans d’autres dossiers (voir l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur le saut d’index en Région wallonne), les procédures en justice et autre recours pourraient pousser le législateur à faire demi-tour et il est évident que les bailleurs feront valoir leurs droits.
Comme vous le voyez, ce dossier important est à suivre et fait l’objet de la plus grande attention de la part du SNPC.