Le formalisme imposé dans le cadre des modalités de fin d’un contrat de bail prime-t-il sur la bonne foi des parties ?
La question peut se poser à diverses occasions :
Un renon adressé par l’un des membres du couple
Un renon adressé par un héritier
Si l’entente est bonne, la tentation est grande de se satisfaire de ce courrier de la personne de contact habituelle et d’entamer les démarches de remise en location.
Cela peut toutefois s’avérer grandement problématique quand les circonstances changent entre l’envoi du renon et la date à laquelle les lieux devraient être effectivement libérés, ou pire lorsque le second locataire ou les autres héritiers ne sont pas d’accord avec la position prise par le locataire/ou la personne de contact.
Ainsi, pour éviter les mauvaises surprises et s’assurer que tout le monde est sur la même longueur d’ondes quant à la fin du bail, les propriétaires avisés veilleront à identifier précisément les différentes personnes pouvant se targuer de la qualité de locataires et ne se limiteront pas à un écrit émanant de leur contact habituel.
Le décès
Plus concrètement, les cas de figures suivants sont envisageables.
Le contrat de bail était conclu avec un seul et unique locataire, lequel décède
En Wallonie, l’article 46 §1er du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation prévoit que pour ces baux d’habitation, le bail prendra fin de plein droit sans préavis ni indemnité 3 mois après le décès du preneur. Cette règle déroge à l’article 1742 de l’ancien Code Civil, lequel dispose : « Le contrat de louage n'est point résolu par la mort du bailleur, ni par celle du preneur. » (c'est nous qui le soulignons).
En conséquence, en Région Wallonne et uniquement pour les baux d’habitation, le législateur a décidé de sortir le contrat de bail de la succession, avec néanmoins une possibilité pour les personnes domiciliées dans le bien depuis plus de 6 mois de notifier leur volonté de reprendre le bail.
Ainsi, pour les propriétaires wallons, soit le bail prendra automatiquement fin, sans renon, soit il sera repris par un des occupants mais dont ils connaitront l’identité et dont ils auront approuvé la reprise via le système de notification prévu par l’article 46. Dans ce second cas, le propriétaire wallon qui voudra par la suite mettre fin au bail saura précisément à qui il devra adresser son renon (s’il est à l’origine du renon) ou qui devra le lui adresser (si le renon émane du preneur).
En Région bruxelloise, les choses sont plus compliquées. En effet, la règle de l’article 1742 de l’ancien Code Civil n’est pas abrogé, de sorte que le droit au bail du locataire passe en principe à ses héritiers et se poursuit. Il existe néanmoins une porte de sortie pour les propriétaires qui pourront, sur base de l’article 232 du Code bruxellois du Logement, considérer le bail résilié de plein droit si :
le logement est inoccupé après ce décès par les membres du ménage du preneur ; et
le loyer et/ou les charges demeurent impayés pendant une durée de deux mois.
A défaut de remplir ces deux conditions cumulatives, le bail se poursuit dans le chef des héritiers. Quid alors d’un renon adressé par un seul des héritiers au propriétaire suite au décès ?
Si le renon survient rapidement après le décès, le propriétaire pourrait argumenter qu’il s’agit d’un acte conservatoire de la part de l’héritier à l’origine du renon, ce qui signifie que chaque héritier pouvait l’effectuer seul en engageant tous les autres. Néanmoins, la qualification même du renon en acte conservatoire fait débat.
Face à un tel renon adressé par un seul héritier, le propriétaire devrait alors s’assurer que ce renon reflète bien la volonté de l’ensemble de la succession. A cet égard, il sera attentif à ce que la lettre (ou le mail) de renon soit exprimé « au nom de la succession ». En cas de doute, il peut se prémunir contre le risque de nullité du renon en demandant la signature de tous les héritiers sur la lettre de renon, ou à tout le moins, en demandant à son interlocuteur de confirmer, par écrit (lettre, mail ou sms) qu’il agit ici au nom de toute la succession par le biais d’un mandat dans son chef, ce qui amoindrira le risque de remise en cause ultérieur.
A l’inverse, si c’est le bailleur qui prend l’initiative de mettre fin au bail par un renon (dans les hypothèses visées par la loi, telle que l’occupation personnelle, les travaux ou pour éviter une reconduction tacite, par exemple), il devra veiller à adresser ce renon à tous les héritiers puisque ceux-ci se sont substitués au locataire initial décédé.
Cette situation peut être inconfortable pour le bailleur. En effet, si ce dernier connait généralement l’identité de l’héritier qui aura repris le paiement des loyers, il est tout à fait possible qu’il n’ait aucune vue sur l’existence d’éventuels autres héritiers.
Afin d’être certain que son renon est bien adressé à tous et d’assurer la validité de son renon, le propriétaire pourra :
contacter le ou les héritiers du défunt dont il a connaissance, afin de leur demander l’identité d’éventuels autres héritiers ou leur demander si un accord a été conclu entre héritiers, sur la reprise du bail par l’un ou l’autre d’entre eux – dans ce cadre, il est important que ces échanges aient lieu par écrit pour se garder une preuve de ces démarches ;
par ailleurs, le propriétaire qui serait encore incertain quant à l’identité des héritiers peut s’adresser gratuitement au registre central successoral afin d’obtenir la liste des héritiers ayant accepté la succession du défunt (par email : cer@fednot.be, en mentionnant l’identité du défunt).
Le contrat de bail était conclu avec plusieurs locataires, dont un seul décède
Lorsque le contrat initial est conclu avec plusieurs locataires, dont un décède, les principes développés ci-dessus restent d’application, à la nuance près qu’outre le lien contractuel avec les héritiers, subsiste encore le lien contractuel avec le(s) locataire(s) survivant(s).
Ainsi, en Wallonie, le contrat de bail s’éteint de plein droit après 3 mois dans le chef du locataire décédé mais cela n’empêche que le bail survit dans le chef du locataire survivant. Tout éventuel renon devra dès lors être adressé à / au nom des locataires initiaux encore vivants, sans s’inquiéter des éventuels héritiers du défunt puisque ce lien contractuel ne sera pas tombé dans la succession.
A Bruxelles, une application de l’article 232 du Code du Logement est peu probable en cas de multiplicité de locataires puisque le locataire survivant va, en principe, se maintenir dans les lieux de sorte qu’une des deux conditions pour considérer le bail résilié ne sera pas remplie.
Cela n’empêche néanmoins pas le jeu de l’article 1742 de l’ancien Code Civil et donc que les héritiers du locataire décédé soient également parties « au nom de la succession » au contrat de bail. La situation est alors particulière puisque le bailleur se retrouve avec plusieurs locataires : d’une part, un des locataires initiaux encore en vie et d’autre part, la succession du locataire décédé.
Cette situation peut facilement lui échapper dans les faits puisque, pour peu que le loyer n’ait, tout au long du bail, jamais été versé par le locataire décédé (mais via un compte commun ou par l’autre locataire), il n’apercevra suite au décès aucun changement dans les versements des loyers ce qui n’attirera pas son attention sur le décès ou sur l’existence d’héritiers.
Ainsi, prenons le cas d’un couple non-marié A-B signant tous deux le contrat de bail d’un appartement à Ixelles avec les bailleurs C-D. Dans le bien, vivent aussi les deux enfants de B, âgés de 18 et 21 ans, non-signataires du contrat de bail. Les loyers ont toujours été versés par A depuis la naissance du bail, c’est d’ailleurs A qui a toujours réglé les questions relatives au bail.
Après quelques années de location, B décède. Les loyers continuent à être versés depuis le compte de A qui, après quelques mois, décide d’adresser un renon pour quitter l’appartement. Ce renon est adressé en son seul nom puisque A pense – erronément - être devenu par le jeu du décès seul et unique locataire. C et D décident alors de profiter de cette occasion pour eux même emménager dans cet appartement et planifient leur déménagement pour la date d’expiration du renon.
Une semaine avant l’expiration du renon, les enfants se manifestent auprès de C et D. Ils font valoir leur qualité d’héritiers et précisent n’avoir jamais été informés par leur belle-mère (A) de l’existence du renon. Eux ne souhaitent pas quitter les lieux, ils n’ont pas prévu de déménagement et n’ont pas d’endroit où aller. Ces enfants, via la succession, sont devenus locataires. Dans la mesure où le renon n’engageait qu’un seul des preneurs, ce renon n’est pas valide et le bail se poursuit. C et D se trouveront dès lors bien embêtés puisqu’ils ne pourront emménager dans leur bien et devront eux-mêmes adresser un nouveau renon en respectant les conditions légales de préavis et d’indemnité.
Pour éviter une telle situation, C et D auraient pu, lors de la réception du renon adressé par A, interpeller A quant au fait que ce renon était rédigé en son nom propre malgré que le contrat soit conclu au nom de deux locataires. En effet, si C et D n’étaient pas au courant du décès de B, ils auraient alors dû attendre la signature de A et B sur ledit renon. S’ils étaient informés du décès de B, ils auraient alors dû s’enquérir de l’existence de potentiels héritiers (et ce d’autant plus si lesdits héritiers étaient depuis le début du bail domiciliés dans le bien, ce qui implique que les propriétaires auraient pu avoir connaissance de leur existence).
En d’autres termes, lorsque le bail est initialement conclu avec plusieurs preneurs, un renon adressé au nom d’un seul d’entre eux doit toujours attirer l’attention du bailleur et le faire réagir. Pareillement, en cas de décès du preneur unique ou d’un des preneurs, le renon adressé par un seul héritier doit appeler à des vérifications et précautions dans le chef du bailleur. Le bailleur devra, dans ces deux cas, répondre à son interlocuteur pour demander la confirmation de tous les preneurs / héritiers sur le renon et/ou demander une confirmation écrite que son interlocuteur est mandaté par tous les preneurs / héritiers en ce qui concerne le renon.
En conclusion
En cas de renon, le bailleur se souviendra utilement que deux signatures (ou plus, selon le nombre de locataires et d’héritiers) valent toujours mieux qu’une, et qu’il lui appartient de s’en réserver la preuve, car le tribunal aura tendance à faire passer le formalisme nécessaire à l’envoi d’un renon avant la « bonne » ou « mauvaise » foi des parties.