Un jugement intéressant a été rendu le 23/5/2022. Celui-ci allie en effet deux domaines actuels et sensibles, à savoir la sécurité et la copropriété.
Dans cette affaire, deux groupes de copropriétaires s’affrontaient devant Monsieur le Juge de paix du 1er canton de Liège. Avec le soutien du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires, les demandeurs ont été assistés par Maître Gilles Rigotti.
In fine, il déclare fondée la demande de copropriétaires préjudiciés par un Arrêté d’inhabitabilité de l’immeuble. Il condamne les copropriétaires défaillants à réaliser des travaux de mise en conformité expressément décrits. A défaut d’exécution volontaire, il les condamne à payer une astreinte de 100€/jour de retard. Les copropriétaires défaillants sont déjà condamnés au paiement de 1 € provisionnel à titre de dommages et intérêts. Le jugement est déclaré commun et opposable à la Ville de Liège.
Les faits ayant donné lieu à l’Arrêté du Bourgmestre de Liège du 28/5/2018, à l’origine du jugement discuté
Des constatations de non-conformité avaient été effectuées en 2016 dans un immeuble en copropriété de 42 appartements, visant donc autant de ménages de copropriétaires et de locataires confondus. Malgré la réalisation de travaux dans la majorité des appartements et la remise en ordre des parties communes de l’immeuble, la Zone de secours de la Ville de Liège rendait un rapport défavorable et concluait que « malgré la conformité des 34 logements … et des communs de l’immeuble, vu la non-conformité des 8 autres logements, nous considérons que le niveau de sécurité incendie de l’immeuble est défavorable ».
Il s’en est suivi pour l’immeuble en copropriété dans sa globalité un Arrêté du Bourgmestre décrétant son inhabitabilité :
Il donnait notamment « Ordre :
« à tout occupant d’évacuer dans un délai maximal de 3 mois à dater de la notification du présent arrêté, l’immeuble objet de la mesure d’inhabitabilité … ;
« aux copropriétaires du même immeuble d’interdire par toutes voies de droit :
l’occupation des logements à tout occupant actuel, au-delà du délai de 3 mois à dater de la signature du présent arrêté ;toute relocation ou réoccupation des logements dès le départ des occupants actuels…»
« au syndic,… ,assurant la gestion de l’immeuble visé…. de procéder à l’affichage … du présent arrêté… ».
Il décrétait également que « La levée du présent arrêté est subordonnée à la production d’un rapport favorable du Département prévention de la Zone de secours … duquel il ressort que la mesure d’inhabitabilité décrétée ne se justifie plus…. »
Pratiquement, la plupart des copropriétaires ont agi personnellement sur leurs parties privatives, comme d’ailleurs l’association des copropriétaires pour sa part dans les communs pour assurer la mise en conformité de parties privatives et des parties communes.
Toujours est-il que quelques copropriétaires se sont abstenus de réaliser dans leurs appartements respectifs les travaux de sécurité incendie demandés et le rapport requis -passage obligé- pour obtenir levée de la mesure d’inhabitabilité n’a pas pu être produit dans les délais impartis.
En fait : Inaction de quelques propriétaires, impossibilité d’obtenir la levée de l’Arrêté d’inhabitabilité et jugement
Les propriétaires et/ou occupants de 34 appartements sur les 42 visés, soit une grande majorité de propriétaires et occupants, restaient victimes des ordres donnés par l’Arrêté !
Finalement, 5 copropriétaires, considérant que les carences de quelques-uns leur causent préjudice, ont porté l’affaire devant le Juge de paix du 1er canton de Liège contre 9 copropriétaires défaillants, le but étant de régulariser la situation sur les travaux effectués.
La Ville de Liège était également appelée à la cause en déclaration de jugement commun.
Avant de statuer quant au fond, le Juge de paix a désigné un expert et fait procéder à une visite des appartements considérés comme litigieux.
Dans son jugement, il énumère en détail les appartements visés dans lesquels sont listés des travaux de conformité à réaliser : il s’agit de travaux assurant la résistance au feu de portes d’entrée, de portillons d’accès aux gaines techniques, des fermetures d’accès au vide-ordure, des grilles de ventilation dans les gaines techniques. Il impose également la production pour certains des attestations de conformité pour leur installation électrique et pour des installations de gaz.
Il condamne les 9 propriétaires cités à réaliser les travaux ci-avant.
En droit : quant au Rapport défavorable de la Zone de Secours ayant motivé l’Arrêté d’inhabitabilité
Quid des mesures de prévention ? qui les définit ? Quid des mesures dans un immeuble en copropriété ? Quid quand celles-ci affectent exclusivement des parties privatives ? Quid quand elles portent sur des parties communes ?
Dans deux articles publiés dans LE CRI n° 355 de juin 2011, l’ancien Capitaine professionnel des Sapeurs-pompiers, Monsieur Alain Macq, rappelait des notions telles que le compartimentage, la résistance au feu et la réaction au feu. Il rappelait également des lois de base du 30/7/1979 et du 22/5/1990 qui ont délégué au Roi la compétence de fixer les normes de prévention incendie de base et de fixer les normes de préventions spécifiques qui se rapportent aux constructions. Un Conseil supérieur contre l’incendie et l’explosion a aussi été mis en place.
La prévention des incendies a été définie comme étant « l’ensemble des mesures de sécurité destinées d’une part, à éviter la naissance d’un incendie, à détecter tout début d’incendie et à empêcher l’extension de celui-ci, et d’autre part, à alerter les services de secours et à faciliter la mise en sécurité et le sauvetage des personnes. »
Si la définition découle du bon sens, la difficulté reste de déterminer clairement les normes de prévention et de les mettre pratiquement en œuvre.
Des normes de base de prévention fédérales et des normes de prévention spécifiques régionales ou communautaires ont été prises par arrêté royal ou de Gouvernement régional.
En outre, les Communes, compétentes dans cette matière, ont pris divers Règlements. Le SNPC a d’ailleurs été amené dans les années 2010 à attaquer parfois ces règlements communaux, avec succès, devant le Conseil d’Etat … et à obtenir leur annulation. Le principe de la proportionnalité doit être respecté et le risque de l’arbitraire a été mis en exergue.
Il n’est pas discutable que l’autorité communale ait compétence pour prendre des mesures de police administrative partout où elle considère que la sécurité est menacée. La prévention des incendies et accidents peut être de son ressort, mais ….
Pour des logements individuels ou appartenant à un seul propriétaire
Quelles sont ces normes de prévention ? Qui les définit in fine ? Comment peuvent-elles être opposables au propriétaire ? Où les trouver ? Comment les mettre en œuvre ?
Pour les préventionnistes, il s’agit déjà d’un véritable dédale de réglementations de toutes natures, évolutives et techniques qu’il faut suivre régulièrement notamment quant à la qualité des matériaux de construction ou à leur placement. Comment alors les particuliers propriétaires d’immeuble pourraient-ils s’y retrouver et prendre connaissance de manière transparente et aisée des normes requises ?
« Force est de constater un flou juridique certain quant aux normes qui doivent être appliquées dans chaque logement et quant à la multiplication des contraintes…sans autre base légale et fruit de souhaits extra-réglementaires des services d’incendie ». De même, pour la sécurité juridique, il est essentiel que soient définies « des normes régionales uniques, objectives et applicables » sur toute la Région et non ponctuellement à chaque commune au gré de desiderata individuels….
Cette observation est valable mutatis mutandis pour les immeubles à appartements multiples, voir infra.
Malgré le respect dû aux autorités compétentes dans cette matière sensible, l’appréciation reste discrétionnaire et …. l’arbitraire semble pointer son nez !
Nous renvoyons expressément le lecteur à l’éditorial de Monsieur Hamal, Président du SNPC-NEMS, publié dans LE CRI n° 428 de novembre 2018, pp. 3-5, intitulé « Sécurité incendie- Mettre le holà aux exigences excessives des pompiers et de certaines Communes ».
Pour les immeubles à appartements multiples en copropriété.
La question est encore plus épineuse puisque des normes de prévention -ignorées par les copropriétaires et/ou de leur syndic, gestionnaire des parties communes de l’immeuble– vont devoir s’appliquer à différents niveaux.
Pour rappel, une association des copropriétaires a pour seule mission légale d’administrer des parties communes qui ne lui appartiennent pas. Celles-ci appartiennent exclusivement, selon des quotes-parts préalablement définies, aux propriétaires de chaque lot privatif. Exceptionnellement, pour des raisons économiques et techniques uniquement, la copropriété peut prendre des décisions affectant des parties privatives en assemblée générale à la majorité des 2/3 des voix.
La copropriété ne dispose toutefois pas d’un pouvoir légal pour intervenir dans l’administration souveraine et exclusive de chaque propriétaire sur son patrimoine et ses parties privatives.
Par ailleurs, s’il peut incomber à chaque propriétaire de réaliser des travaux – non définis clairement par ailleurs – dans son lot privatif, les copropriétaires n’ignorent pas que des travaux privatifs, obligatoires ou non, AFFECTANT les parties communes doivent préalablement être autorisés par l’assemblée générale. A défaut d’autorisation, ce copropriétaire pro-actif court le risque de voir dans le futur sa responsabilité civile engagée si ses travaux ont des conséquences dommageables dans l’immeuble.
En droit : quant à l’Arrêté d’inhabitabilité de l’immeuble dans son ensemble et le refus de lever l’inhabitabilité décrétée.
Comment justifier que la mesure a frappé tous les logements y compris ceux « qui étaient droits dans leurs bottes » et leurs propriétaires et occupants ?
L’Arrêté a frappé d’inhabitabilité TOUS les appartements dans leurs parties privatives et leurs quotes-parts dans les parties communes… et par voie de conséquence, leurs propriétaires et leurs occupants, et ce tant qu’un (nouveau) rapport favorable des pompiers ne serait pas produit. Entretemps, il a interdit à chacun une jouissance paisible de son bien et une bonne gestion de son appartement destiné à la vente ou à la location.
La plupart d’entre eux -34 logements sur 42- ont exécuté les travaux imposés et conformé leurs appartements aux normes édictées. Ils pouvaient donc raisonnablement s’attendre qu’un (nouveau) rapport favorable puisse être établi, des travaux exclusivement privatifs n’étant pas de leur ressort. Que nenni ! TOUS les appartements et leurs propriétaires n’ayant pas reçu le satisfecit des pompiers, le rapport est resté défavorable pour tous et chacun et par voie de conséquence, l’Arrêté d’inhabitabilité aussi.
Des mesures de cette nature ne permettent en tous cas pas d’instaurer une ambiance paisible au sein de la copropriété.
Du fait des manquements et de l’inaction de quelques-uns, la sanction a porté atteinte à chaque droit de propriété, avec de graves conséquences pour chaque propriétaire d’appartement dans l’immeuble. C’est dire…
Il était normal que la mesure frappe les lots privatifs non-conformes. En revanche, nous ne comprenons pas les motifs légaux motivant les sanctions de l’Arrêté d’inhabitabilité, ayant frappé et continuant à frapper tout l’immeuble !
En effet, même si à certains égards, une (certaine et très limitée au demeurant) solidarité a été reconnue par la loi sur la copropriété au profit des tiers, il n’apparaît pas que ce principe puisse trouver à s’appliquer dans le cas de sanction administrative contre tout un immeuble.
Rappelons pour la clarté que dans le cadre de l’exécution de jugements condamnant l’association des copropriétaires (à des sommes), une solidarité existe entre tous les copropriétaires, limitée aux quotes-parts de chacun dans les parties communes. A l’inverse, il n’y a pas de solidarité entre l’association des copropriétaires et les copropriétaires individuellement pour les parties privatives de chacun.
Enfin, les considérants de l’Arrêté retiennent que la gestion de l’immeuble est confiée par l’association des copropriétaires au syndic. Il était donc normal que le syndic soit chargé d’afficher un Arrêté concernant (uniquement) les parties communes.
Mais pourquoi le syndic devrait-il veiller à un affichage relatif à des parties privatives qu’il n’est pas chargé d’administrer ?
En droit : quant au jugement discuté
L’Arrêté du Bourgmestre a sanctionné in globo, sans nuances et sans ciblage, tous les propriétaires d’un immeuble sur base d’un rapport mettant en exergue des manquements individuels.
Des copropriétaires, victimes de ces carences qui ne leur incombaient pas et qui n’étant pas de leur responsabilité, n’ont eu d’autre choix que d’en assigner les auteurs devant le Juge de paix.
Vu l’inopposabilité des constats et vu le caractère privatif des irrégularités, il a fallu une expertise judiciaire. Des irrégularités spécifiques à des appartements individuels ont été raisonnablement mises en évidence. Elles ont permis au tribunal d’une part, de cibler les appartements concernés et d’autre part, de définir les travaux à réaliser par les propriétaires concernés, condamnés à s’exécuter, sous peine d’astreinte.
C’est avec ce prononcé que les responsabilités sont déterminées. Ce jugement ouvre aussi le droit pour les propriétaires à des dommages et intérêts. Enfin, il le déclare commun et opposable à la Ville de Liège, auteur de l’Arrêté d’inhabitabilité.
Reste à s’interroger sur la portée du jugement qui a été rendu.
Le tribunal reconnaît que « ces carences paralysent la situation de l’immeuble ». Il relève également que c’est « à juste titre que la Ville exige une mise en conformité incendie à 100 % pour lever l’Arrêté d’inhabitabilité, les défendeurs devant comprendre que les autorités communales, comme les pompiers, ne peuvent après les accidents dramatiques …. (antérieurs) … tergiverser ou faire preuve de laxisme dans l’application des normes relatives à la sécurité incendie des logements ».
Ce jugement est déclaré commun à la Ville. Vu la motivation du tribunal, celle-ci devrait, en toute logique, le respecter. Nous espérons donc que la réalisation des travaux prescrits judiciairement se substituera au rapport défavorable du Département prévention de la Zone de Secours et permettra de lever la mesure d’inhabitabilité décrétée par le Bourgmestre.
En conclusion
Le tribunal ne se prononce ni sur les mesures initialement imposées par les pompiers, ni sur la teneur de l’Arrêté d’inhabitabilité du Bourgmestre ni sur la prudence éventuellement excessive des pouvoirs publics.
L’immeuble concerné est érigé en exemple au profit de la prévention incendie, sans tergiversations ou laxisme. Même si rien n’est réglé quant aux normes et mesures de prévention incendie, le tribunal devient préventionniste. Il définit les travaux à réaliser et par qui pour conformer les lieux litigieux aux normes de prévention.
Prenant aussi en compte que le vécu collectif, le droit de propriété individuel, même s’il est irréprochable, sont mis entre parenthèses.
Pour le surplus, la situation juridique évoquée fait apparaître les limites de la loi sur la copropriété.
La sécurité juridique ne permet en effet pas de donner réponse aux copropriétaires individuels, victimes des sanctions administratives du fait de carences privatives, et ce même si la loi permet à la copropriété d’agir en justice au profit de parties communes.
Par exemple, l’opposabilité à toute l’association des copropriétaires et aux copropriétaires de constats (négatifs) concernant des lots privatifs ou le pouvoir de réaliser à tout prix des travaux strictement privatifs sont des questions qui ne peuvent trouver réponse qu’en justice.
En ce sens, les propriétaires dans cet immeuble ne se sont pas trompés en assignant les copropriétaires défaillants. Le jugement répond in fine à leur question (implicite) quant à la contribution à la dette en général au moment de faire les comptes au sein de l’immeuble.
C’est sans doute ce qui motive l’appel interjeté contre ce jugement assorti de l’exécution provisoire.
Donc, affaire à suivre….