Les objectifs européens en matière d'efficacité énergétique poussent à la décarbonation. Quoi de mieux pour y parvenir que d'agir sur l'électrification des modes de transport ! Pourquoi donc individuellement ne pas y contribuer et conduire propre, avec une voiture électrique ?
Encore faut-il que les infrastructures de recharge électrique suivent... Pour remédier aux limites de la recharge publique en voirie, pourquoi pas installer une borne à recharge chez soi ? C'est écologique, c'est efficace et sûr, c'est économique mais... c'est sans compter avec les contraintes techniques et... juridiques. C'est ce que nous allons voir.
Techniquement, comment ça fonctionne ? Quelques indications
Toutes les voitures électriques ne sont pas égales face au chargement.
Il faut prendre en considération trois paramètres :
le choix du véhicule en fonction de son utilisation et de sa batterie, deux éléments dépendant des choix du constructeur.
le système de chargement et le câble de chargement fourni également par le constructeur. Si le câble ne délivre qu'un courant de 10 ampères, avec la conséquence que la puissance de charge ne dépasse habituellement pas 2.5 kW, le gain en autonomie sera de quelque 10 km en une heure.
En ce sens, une simple prise domestique (délivrant 16 ampères) pourrait suffire sans exiger d'installation particulière. MAIS la lenteur et la durée de chargement ainsi que les risques de plombs qui sautent, de surchauffe et partant d'incendie imposent en tous cas que la prise de charge, obligatoirement de type2 (Mennekes) et comprenant un adaptateur spécial, indique l'intensité de courant qui sera délivrée.
Toutefois, la limitation de l'intensité de courant est relativement artificielle pour éviter les surchauffes.Aussi, pour atteindre des vitesses de chargement plus raisonnables en toute sécurité, il faut bien installer une borne fournie avec un câble compatible.
enfin, l'installation électrique du lieu de chargement (l'entreprise ou la maison) qui est raccordée à un réseau électrique domestique qui n'est pas le même partout. Il faut nécessairement interroger le Gestionnaire du réseau de distribution. Le lieu de chargement doit en effet disposer d'une puissance suffisante pour supporter en outre les besoins quotidiens et normaux de notre logement. Alors que la recharge d'une voiture exige un minimum de 3.7 kW à 16 ampères, se poser la question de savoir si la maison ou l'entreprise pourra supporter le pic supplémentaire pour un ou plusieurs véhicules est basique.
Selon que la maison est connectée à un réseau 230 V monophasé sans neutre ou à un réseau 400 V triphasé avec neutre, encore limité, les travaux d'installation d'une borne de recharge seront différents et d'un coût différent.
Où charger ? En voirie ?
En voirie ou hors voirie, selon la puissance offerte, selon les besoins et du temps d'occupation de la voiture dans l'espace public ou privé ou selon la fonction qu'elle assure avec de longues ou de courtes périodes de stationnement.
Les Régions s'y attellent.
Des partenariats avec des entreprises sont mis en place pour des services d'installation, de gestion et d'exploitation des bornes de recharge placées sur le domaine public, des conditions d'agréments pour les opérateurs sont définies, la mise en concurrence d'opérateurs agréés est organisée, des prescriptions minimales sont définies pour une utilisation raisonnée de l'espace public, des règles sont adoptées pour des concessions, des agréments, des permissions de voirie, des obligations et responsabilités des opérateurs agréés, ...
Donc, le coût de la recharge publique est plus important en raison des exigences définies (grande complexité d'installation, permis à délivrer, communication bidirectionnelle, système d'identification et de paiement, raccordement électrique extérieur, protection contre le vandalisme, coût de stationnement dit, etc.) et par ailleurs, le déploiement d'une telle infrastructure a un impact certain sur divers domaines (environnement, mobilité, énergie, sécurité, économie partagée...).
Le paradoxe est manifeste : d'une part, l'utilisation et l'usage des voitures électriques, idéales en circulation urbaine, est favorisée mais d'autre part, les difficultés techniques sont de tous ordres.
De l'aveu du politique « («Vision sur le déploiement d'une infrastructure de recharge pour véhicules électriques », 1/7/20, be.brussels) d'ailleurs, pour véritablement poursuivre les objectifs de réduction de l'emprise de l'automobile sur l'espace public, il faudrait idéalement limiter drastiquement le déploiement de bornes en voirie et leur préférer les bornes hors voirie » ! Et du point de vue des coûts sociétaux, l'ordre de priorité pour de nouvelles bornes et leur utilisation devrait être : privé > semi-public > public.
Certaines études laissent apparaître que la recharge à domicile représente de 60 à 70 % des sessions de recharge, la recharge sur le lieu de travail représente de 20 à 30% et la recharge sur les bornes publiques de 10 à 20 %.
Où charger ? Hors voirie ?
C'est La bonne idée, pratique de surcroît, du conducteur sensé d'un véhicule électrique : recharger chez soi à la maison ou au travail... d'autant que la recharge privée a globalement moins d'impact et utilise un espace réservé déjà existant. Elle ne nécessite pas d'investissements importants puisqu'une wallbox (borne de recharge de version basique, fixée sur un mur dans un espace couvert et donc avec circuit électrique mieux protégé) voire une simple prise industrielle protégée par un différentiel peut suffire.
C'est la forme d'une recharge normale, avec peu d'impact sur le réseau et un tarif d'électricité bas.
1. En maison unifamiliale
Les choses sont relativement simples. Le conducteur enthousiaste suit la check-list quant aux prescriptions du constructeur du véhicule pour l'utilisation du véhicule et le type de batterie, quant au câble de chargement disponible, quant à la vitesse du chargement, et surtout, quant à la puissance du réseau électrique de son chez-soi et/ou de son entreprise en interrogeant et en avertissant le Gestionnaire de réseau de distribution, pour s'assurer que le réseau auquel l'immeuble est raccordé est capable de supporter la charge d'un ou plusieurs véhicules.
In fine, dès lors qu'il exécute les travaux nécessaires pour disposer d'un circuit dédicacé à la borne de recharge avec son propre disjoncteur et son propre interrupteur différentiel de 30 mA , il faut nécessairement faire contrôler son installation électrique par un organisme agréé afin d'en vérifier sa nouvelle conformité.
2. En copropriété forcée
Ca se corse ! Quid de la recharge électrique dans les parkings privés résidentiels, c'est-à-dire dans les garages d'habitations et des emplacements de stationnement dans les immeubles de logements ?
Le copropriétaire qui veut installer une borne de recharge pour son véhicule électrique, doit demander au syndic de mettre le point à l'ordre du jour d'une assemblée générale et .... préparer son dossier argumentaire.
a. Techniquement
Dans ces immeubles accueillant des véhicules pour de longues périodes, il faut, monitoring et/ou pilotage éventuel oblige(nt), raccorder la borne de recharge sur un compteur distinct. Une recharge normale (< 7.4 kW) paraît suffisante. Le coût et l'impact sur le réseau en sont limités. S'il s'avère trop onéreux ou complexe d'installer une borne dans un bâtiment résidentiel existant, d'autres solutions existent.
Dans les nouveaux bâtiments résidentiels et ceux faisant l'objet d'une rénovation lourde, diverses obligations apparaissent pour prévoir des gainages et des espaces pour les postes de transformation.
b. Fondement juridique : CC. 3.82 ( à partir du 1/9/21) ou CC. ancien 577-2, § 10
Le copropriétaire a légalement le droit, pour son propre compte et à ses frais exclusifs, d'installer, d'entretenir ou de procéder à la réfection de câbles et équipements y associés dans ou sur les parties communes, si ces travaux ont pour but, dans le domaine de l'énergie, d'optimaliser l'infrastructure pour ses parties privatives.
Il est indiscutable qu'il s'agit de travaux privatifs, même si cette infrastructure se trouve dans les parties communes. Il supporte les frais d'achat et d'installation de l'équipement ainsi que les dépenses d'électricité. Il choisit lui-même son prestataire de services et son fournisseur d'énergie.
Il doit toutefois en informer l'assemblée générale, même si aucun autre travail n'est exécuté hors du lot privatif, dans les parties communes, ce qui serait rare. Non seulement la prise ou la borne est installée dans un box privatif, mais le lot dispose de son installation électrique privative laquelle est liée à son compteur privatif d'électricité, lequel est exceptionnellement situé dans son box de garage privatif.
c. Procédure d'information et position de principe de l'association des copropriétaires ou de copropriétaires individuels
Par envoi recommandé, il doit envoyer au syndic, au moins 2 mois avant le début de ses travaux, un dossier complet avec une description des travaux envisagés et un justificatif de l'optimalisation de l'infrastructure envisagée.
Bien que la loi reconnaît à ce copropriétaire le droit d'exécuter les travaux envisagés, tant l'association des copropriétaires en assemblée générale que des copropriétaires individuels ont le droit de :
soit décider d'effectuer eux-mêmes dans les 6 mois les travaux d'optimalisation de l'infrastructure,
soit, à peine de déchéance, former opposition, par envoi recommandé dans les 2 mois de la réception du dossier, contre les travaux envisagés.
Pour ce faire, ceux-ci doivent justifier d'un intérêt légitime. Leur intérêt est légitime si :
une telle infrastructure dans les communs existe déjà, ou
l'infrastructure ou les travaux de réalisation provoquent d'importants dommages à l'apparence de l'immeuble ou des communs, à l'usage des parties communes, à l'hygiène ou à leur sécurité sur laquelle nous reviendrons ci-après, ou
aucune optimalisation n'est apportée à l'infrastructure, ou
les travaux envisagés alourdissent la charge financière des autres copropriétaires ou utilisateurs.
d. Travaux soumis au vote de l'assemblée générale des copropriétaires
Malgré la reconnaissance légale, il faut être réaliste : en effet, sinon les travaux d'installation, en tous cas les travaux de raccordement doivent d'une manière ou d'une autre « traverser » les parties communes, du box privatif vers un local commun spécifique et extérieur au box (privatif) dans lequel sont réunis tous les compteurs privatifs d'électricité.
Les travaux requis par ce type de projet affectent d'une manière ou d'une autre les parties communes et doivent être votés à la majorité des 2/3 des voix des copropriétaires présentés ou représentés.
e. Quid en cas d'opposition de l'assemblée générale aux travaux privatifs affectant les parties communes ?
Le copropriétaire doit saisir le juge de paix dans les 4 mois de l'assemblée générale.
L'un fera valoir le caractère abusif de la décision qui lui cause un préjudice propre voire même l'absence d'un juste motif, l'autre, c'est-à-dire l'association des copropriétaires, conjointement ou non, avec des copropriétaires individuels, l'intérêt légitime qui aura été évoqué pour s'y opposer.
C'est le juge de paix qui règle le litige en examinant les arguments en présence.
f. La sécurité de la recharge électrique et l'intérêt légitime
La question de la sécurité des bornes est cruciale.
Le risque électrique existe. Il est inhérent aux risques liés à toute installation électrique. Il faut donc veiller à la conformité de la borne, à la certification de l'installation et au bon entretien de toute l'installation électrique, le cas échéant, fût-ce pour remplacer des pièces éventuellement endommagées.
Au contraire, le risque d'incendie concernant des bornes hors voirie dans des endroits confinés que sont les parkings fermés existe réellement.
Pratiquement, il est lié non pas à la recharge même du véhicule mais bien à la présence de la batterie qui équipe le véhicule électrique. Divers sinistres ont été mis en évidence ces dernières années : une surcharge ou un choc est susceptible d'entraîner un court-circuit totalement indétectable qui amène un échauffement progressif de l'élément de batterie affecté. Les cellules proches affectées explosent à leur tour et l'incendie se propage. L'expérience a également établi qu'il est très difficile à combattre et à éteindre, sans compter l'échauffement des bétons de structure entraînant des catastrophes.
Le risque est donc d'une importance. Et l'intérêt légitime de l'association des copropriétaires est tout trouvé.
Parmi les autres éléments établissant l'intérêt légitime figure le fait que lesdits travaux n'alourdissent pas la charge financière des autres copropriétaires.
Vu le risque d'incendie évoqué, l'assureur de la copropriété pourrait conditionner le maintien de la police d'assurance à la réalisation d'autres conditions de travaux de sécurisation par exemple. En outre, il pourrait augmenter considérablement le montant des primes dues par la copropriété, voire refuser de couvrir le risque d'incendie ou de la responsabilité civile de l'immeuble en copropriété forcée et des copropriétaires individuels. C'est dire que ce projet alourdirait considérablement la charge financière des autres copropriétaires.
En tous cas, les assureurs annoncent déjà leur intention d'introduire ces paramètres dans la description des sinistres et d'ajuster ainsi leur politique de couverture et d'indemnisation.
Et, une législation est d'ailleurs en discussion pour tenir compte de l'avis concerné des Services d'Incendie et d'aide médicale urgente (SIAMU) et pour limiter l'installation de bornes et partant des voitures électriques à proximité des entrées des parkings couverts et au 1er sous-sol et au 1er étage et sans doute pour interdire les installations de recharge rapide à l'intérieur des bâtiments.
Si les normes de sécurité imposées induisent in fine un surcoût trop important pour permettre le stationnement de véhicules électriques, leur recharge (et même leur simple stationnement) dans des parkings couverts deviendra de facto interdite.
Et, au-delà de la pertinence de ces règles, c'est un risque réel qui pèse sur la possibilité d'accueillir des véhicules électriques dans ces parkings fermés qui rendrait alors obligatoire le développement de bornes en voirie ou dans des parkings à ciel ouvert.
En conclusion
Ni l'attractivité des voitures électriques ni la nécessité de déployer des infrastructures de recharge électrique ne sont mises en doute. Au contraire, l'effort mérite d'être poursuivi. Mais il est injuste de vouloir faire supporter la charge du déploiement des infrastructures de recharge électrique à l'initiative privée individuelle et collective. Il revient aux pouvoirs publics de proposer des solutions acceptables par le plus grand nombre, en ce compris les citoyens ne possédant aucun moyen de locomotion mais concernés de facto par cette problématique.